Août 1950 : La compagnie aérienne Civil Air Transport (voir octobre 1949), moribonde suite à la défaite du Kuomintang, est rachetée pour moins d’un million de dollars par la C.I.A. et deviendra le 26 mars 1959 Air America. Selon Journoud, « devenue propriété du gouvernement, la compagnie va être utilisée sur tout le théâtre asiatique pour des missions clandestines de lutte contre le communisme. » Elle est également mise au service des Français mais dans un contexte de méfiance franco-américaine persistante (Journoud, 2010, p. 131).
1er août 50 : Le général Charpentier crée un « sous-secteur autonome de Cao Bang » confié au lieutenant-colonel Charton (commandant la ville). Des renseignements montrent une montée en puissance du VM au Tonkin : sur une masse de 80 000 réguliers, 50 000 sont susceptibles d’y agir et donc d’être concentré en nombre sur la R.C. 4. Pour autant, ces importantes données sont négligées par le commandement français (Cadeau, 2022, p. 119).
2 août 50 : Nouvelle réunion du « comité du parti de la campagne des frontières » vietnamien qui s’est formé le 11 juillet. Hoang Van Taï (chef d’état-major) estime que le projet d’attaque de Cao Bang (Le Hong Phong II) paraît toujours aussi complexe et délicat à mettre en œuvre car la prise de cette place forte risque d’être coûteuse en vies humaines (Cadeau, 2022, pp. 195-196). L’état-major général a convoqué les chefs d’unités à partir de l’échelon régimentaire pour leur faire part sur plan relief des futures missions (Giap 2, 2004, p. 21).
3 août 50 : Arrivée à Quang Uyen de Giap. Hoang Van Taï (chef d’état-major de l’A.P.V.N.) et Tran Dang Ninh (chef des approvisionnements) évoquent avec lui des difficultés au sujet des actions de renseignement et de reconnaissance en vue de la future attaque de Cao Bang. Certains commandants d’unités sont hésitants. On décide d’aller se rendre compte sur place (Giap 2, 2004, p. 21).
Suite aux accords entre le secrétaire d’État Dean Acheson et les Français, arrivée à Saigon du général Brink et des futurs conseillers du M.A.A.G. (Toinet, 1998, p. 325). Un nouveau pas est franchi par les Américains qui, en plus du matériel, amènent désormais des conseillers militaires.
5 – 6 août 50 : Devant les réticences de Hoang Van Taï (voir 2 août), Giap se rend aux abords de Cao Bang pour une reconnaissance topographique des lieux qui confirme les hésitations du chef d’état-major (Cadeau, 2022, p. 196 ; Giap 2, 2004, pp. 23-26). Il tire les conclusions de cette visite sur place : « Après ma mission de reconnaissance, je trouvais que Cao Bang ne convenait pas pour effectuer la grande percée de notre campagne. L’ennemi n’y était pas nombreux, mais les montagnes et les rivières le plaçaient dans une position avantageuse telle que la décrivaient les anciens : un goulet escarpé défendu par un seul homme peut déjouer l’attaque de milliers d’assaillants ! Attaquer Cao Bang poserait un tas de problèmes tactiques, nos hommes n’avaient pas assez d’expérience pour les résoudre. » Il trouve une autre solution : « […] attaquer Dong Khe, position importante reliant That Khe et Cao Bang. Bien que l’ennemi eût renforcé Dong Khe, elle demeurait à notre portée. Une fois Dong Khe enlevée, l’ennemi serait obligé soit de la réoccuper, soit d’évacuer Cao Bang. » (Giap 2, 2004, pp. 26-27). Cet extrait des mémoires de Giap lui donne le beau rôle. Il oublie de mentionner que ce sont les conseillers chinois qui ont monté toute l’affaire…
11 août 50 : Arrivée à Saigon du premier cargo d’aide militaire américaine. Le matériel arrivera sans programme véritablement déterminé, en fonction des disponibilités laissées par la guerre de Corée (Toinet, 1998, p. 151).
12 août 50 : Réunion entre Giap, Tran Dang Ninh (chef des approvisionnements de retour de Chine où il a eu l’assurance d’un soutien logistique) et 3 conseillers militaires chinois, Wei Guoqing, Mei Jiasheng et Deng Yifan. La réunion a lieu à la demande de Wei Guoqing, chef de la délégation chinoise, en présence de cadres de la 308e division pressentie pour intervenir sur la R.C. 4 (Giap 2, 2004, p. 28)
13 août 50 : Formation du « gouvernement de résistance du Pathet Lao » (« État Lao ») lors d’un « Congrès du peuple » qui se tient au Tonkin où les révolutionnaires laotiens se sont réfugiés. Ils sont dirigés par le « prince rouge » Souphanouvong dont l’épouse est vietnamienne (Cadeau, 2019, p. 625, note 39 ; Fall, 1960, pp. 130-131).
14 août 50 : Le gouvernement français et la Chambre décident de réduire à 90 000 hommes les forces françaises engagées en Indochine malgré les demandes de renforts des 2 derniers commandants en chef. La Chambre fait savoir que le contingent ne sera jamais engagé dans ce qu’on nomme toujours pudiquement et faussement en France une « opération de police » (Fall, 1967, p. 132).
Le général chinois Chen Geng chargé d’organiser la future campagne des frontières rejoint le commandement du front de l’armée vm à Guang Nguyen. Il rencontre Wei Guoqing dirigeant l’équipe des conseillers chinois. Le général vietnamien Hoang Van Thai (chef d’état-major de l’A.P.V.N.) le renseigne sur l’implantation militaire française le long de la R.C. 4. Giap accepte le plan et invite le général chinois à l’exposer devant les commandants de l’armée vietnamienne au-delà du niveau du régiment. Le génie militaire de Giap lorsqu’il devient « suiveur » est donc aussi à moduler à l’aune de l’expérience des conseillers chinois (Zhai, 2000, p. 10).
15 août 50 : HCM approuve par télégramme le choix d’une attaque non directement sur Cao Bang mais, dans un premier temps, sur Dong Khe (Giap 2, 2004, p. 28).
16 août 50 : Nouvelle réunion du « comité du parti de la campagne de la frontière » vietnamien qui, face aux difficultés liées à l’attaque de Cao Bang, préfère centrer ses forces contre Dong Khe. Ce revirement serait dû à l’intervention du général chinois Chen Geng qui préfère attaquer un poste isolé proche de Cao Bang plutôt que la localité en elle-même. Espérant ainsi attirer une colonne de secours française venue de Langson qui serait facilement attaquée le long de la R.C. 4 entre That Khe et Dong Khe ou entre Langson et That Khe. On envisage aussi l’hypothèse d’un repli français de Cao Bang. En fait, le VM adopte une stratégie très souple, capable de s’adapter aux réactions des Français et à leurs éventuelles erreurs (Cadeau, 2022, pp. 196-197 ; Giap 2, 2004, pp. 29-30). Une tactique simple, pragmatique, qui va payer.
18 août 50 : Carpentier produit « l’instruction personnelle secrète pour la défense de la frontière tonkinoise ». Elle constate que « les Vietminh, bénéficiant d’une aide chinoise très importante, ont mis sur pied rapidement un nombre d’unités instruites et bien armées, qui ont rompu sur la frontière, à notre désavantage, l’équilibre entre ses forces et les nôtres. » (cité in Cadeau, 2019, p. 304). Elle envisage « de ne consacrer aux points fortifiés barrant l’accès de la Chine vers le delta tonkinois que les effectifs indispensables, afin de pouvoir disposer du potentiel le plus élevé pour assurer la défense de la lisière nord du delta, couvrant le delta utile, où le commandant en chef est décidé à accepter la bataille. » (cité in Gras, 1979, p. 320-321). Carpentier hésite cependant et adopte une position ambigüe : les postes de la R.C. 4 ne seront évacués que sous la pression de l’ennemi, avec tous les dangers que ce retard comporte. Il décide de défendre la R.C. 4, Cao Bang, That Khe, Loc Binh, Dinh Lap, Dong Dang, Langson, qui doivent, selon lui, faire office de « brise-lames à l’offensive ennemie » et ne doivent décrocher que si elles sont « menacées de subversion ». Les postes secondaires devront, en cas d’attaque « être évacués à temps ». Des « éléments retardateurs » (qui n’existent en fait que sur le papier) sont censés freiner les attaques (Bodard, 1997, p. 550). Pour autant, Carpentier ne dirige aucun renfort au Tonkin et se contente des effectifs qui sont sur place, sous-estimant une fois de plus la force du VM dont il est informé par les nombreux rapports que lui ont été faits.
A Paris, le Comité de Défense nationale, reprenant les propos du ministre de la Défense Jules Moch (voir 22 juin), enjoint à Carpentier de prélever des forces au Tonkin pour accélérer la pacification dans d’autres territoires (Cochinchine, Laos et Cambodge), ce qui implique de resserrer le dispositif mis en place au nord et donc de lâcher Cao Bang où la situation est déjà critique (Gras, 1979, p. 323). Carpentier se voit donc écartelé entre 2 types de nécessité : défendre la frontière chinoise au Nord et devoir respecter les nouvelles directives gouvernementales orientant les troupes françaises vers le Sud. Il ne manquera pas de s’en plaindre (voir 6 novembre) (Turpin, 2000, p. 31)
21 août 50 : Réunion du comité du Parti et du commandement de la future campagne sur la R.C. 4 sur les plans d’opération. Hoang Van Thai (chef d’état-major) établit le rapport d’attaque de Dong Khe, Le Liem celui sur l’action politique et Tran Dang Ninh celui sur la question des approvisionnements. Giap demande au premier d’établir rapidement le plan d’attaque pour le soumettre à l’approbation de la hiérarchie du Parti (Giap 2, 2004, p. 30).
23 août 50 : Les français lancent l’opération Chrysalide en direction de Phu To (nord-ouest d’Hanoi).
25 août 50 : Le torchon continue de brûler entre Carpentier et Alessandri. Selon Bodard, Carpentier écrit à Alessandri toujours en séjour à Paris : « J’avais vu effectivement avec quelque surprise que vous aviez été reçu par Monsieur Vincent Auriol. Quand j’ai appris quelques jours plus tard que vous l’aviez été par M. Jules Moch et par M. Pleven, je me suis dit que pour une « permission » c’était une drôle de formule [...] En ce qui concerne votre retour, je pense qu’il y a malentendu. Vous m’aviez parlé d’un mois et demi à deux mois d’absence. Et maintenant vous m’avertissez que vous reviendrez après avoir bénéficié d’une permission de deux mois et demi comme convenu. Je ne puis absolument pas souscrire à cette prolongation. » (cité in Bodard, 1997, p. 547). Le commandant en chef ne sera pas entendu. Alessandri ne repartira au final que le 19 septembre pour l’Indochine.
25 - 26 août 50 : Organisation d’une réunion élargie à Nam Tau (district de Quang Uyen) par le comité du Parti à laquelle sont invités les cadres régimentaires dont certains ont été éprouvés lors de précédents combats. Chaque unité se voit assigner sa mission. Hoang Van Taï est désigné commandant des opérations, Le Liem en est le commissaire politique et Le Trong Tan l’adjoint au commandant. 2 unités sont désignées pour attaquer Dong Khe, les 174e et 209e régiments. La 308e division a pour mission d’attaquer les renforts. Les unités devront être regroupées au 14 septembre. Giap précise qu’après la prise de That Khe, les troupes se reconstitueront avant de prendre Dong Khe, ce qui obligera les Français à lâcher Cao Bang (Giap 2, 2004, pp. 30-31).
Fin de l’été 50 : Le 2e bureau fait parvenir à Allessandri sa dernière synthèse sur les effectifs du VM : à la veille de la bataille des frontières Giap dispose de 118 bataillons, soit une augmentation de 35 % par rapport à janvier. Les effectifs d’un bataillon ont doublé par rapport à l’année précédente. Sa puissance de feu a elle aussi considérablement augmenté (armes portatives et lourdes) (Cadeau, 2019, pp. 304-305).