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par Jean-François Jagielski

Mars 1948

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Printemps 48 : Le P.C.I. ressuscite une politique indochinoise (mise en veille en 1945 mais conforme aux directives du Komintern de 1930). Il ordonne à ses cadres de renforcer et d’étendre les structures politiques et militaires au Laos et au Cambodge, considérées comme partie intégrante de la révolution internationaliste indochinoise (Goscha, 2003, pp. 30-31).


Mars 48 : Le VM procède à un éclatement et une réorganisation de son armée. Il découpe le pays en 14 zones militaires appelée lien khu, à la fois circonscriptions politique, économique et militaire, indépendantes et autonomes les unes des autres. Chaque lien khu est dirigé par un « comité de résistance et d’administration » élu. Après les relatifs échecs militaires de 1947, cette structure se met au service de la guérilla, la « guerre du peuple », telle que la pratique Nguyen Binh dans le Sud. La population est embrigadée dans les associations du lien viet dirigées par la hiérarchie des comités de village (xa), de groupes de villages (lien xa), de districts (hu-yen) et de provinces (tinh). Chaque niveau entretient des unités de guérilla plus ou moins importantes (Gras, 1979, p. 234). L’effet de cette réforme n’est pas immédiat mais deviendra particulièrement efficace à partir de mars 1949, au moment de la reprise d’offensives des Français plus soutenues.


1er mars 48 : Un convoi français de 70 véhicules civils et militaires est attaqué par le VM sur la route entre Saigon et Dalat au pont de Lagna. Les pertes sont sévères : 82 tués dont 25 militaires du corps expéditionnaire, une centaine de blessés, 150 civils sont pris en otages. Un officier supérieur y trouve la mort, le lieutenant-colonel De Sairigné, commandant la 13e demi-brigade de la Légion. 30 camions sont détruits. Une colonne de secours est obligée d’intervenir en fin de journée, appuyée par la chasse et un largage de parachutistes qui parviennent à accrocher le chi doï 10 (500 hommes). L’affaire a un retentissement dans la presse française et internationale alors que tout le monde considère jusqu’alors que le Nam Bo est pacifié  (Gras, 1979, pp. 225-226 ; Salan 2, 1971, pp. 137-138 ; Giap 1, 2003, p. 196).


2 mars 48 : Une nouvelle attaque par le VM d’un convoi routier entre Saigon et Sadec occasionne 20 morts (Teulière, 1979, p. 241).


6 mars 48 : Suite aux réactions de la presse, le général Boyer de la Tour (commandant les T.F.I.S.) revient sur l’attaque du 1er qui visait Dalat et entend la ramener « à de justes proportions ». Il écrit : « A raison d’un chiffre minimum de 60 voitures par convoi, et de deux convois par semaine, cela donne 12 000 véhicules passés sans perte [sur une période de deux ans]. La catastrophe de Dalat s’inscrit donc au chapitre des catastrophes dues à la part de risque de toute entreprise humaine. Cette notion de risque qui échappe à l’opinion publique justement impressionnée, est un élément essentiel de la guerre. » (cité in Cadeau, 2019, pp. 231-232). La presse métropolitaine ne l’entend pas de cette oreille et place l’événement à la une des journaux. Les réactions politiques ne manquent pas de suivre : les communistes dénoncent la mauvaise gestion de la guerre par le gouvernement Schuman. Salan considère quant à lui cette embuscade comme « un épisode marquant de [la] guerre d’Indochine : l’embuscade parfaite » (Salan 2, 1971, p. 137).


12 mars 48 : Le ministère de la Défense du VM crée une « école militaro-politique » à Soi Mi-Tan Cuong dans la province de Thai Nguyen. En mai 1951, 675 élèves-officiers y auront été instruits (Giap 1, 2003, p. 268).


14 mars 48 : Bao Daï, toujours à Hong-Kong, consulte à nouveau les nationalistes tout en se réfugiant dans son habituelle attitude d’attentisme prudent (voir 20 janvier).


17 mars 48 : La menace communiste chinoise se précise à la frontière du Tonkin. Bollaert et Salan se rendent à Langson pour se rendre compte de la situation. Salan rencontre le gouverneur nationaliste chinois Long Tcheou pour essayer de coordonner les actions. Mais la situation des nationalistes est désastreuse. Leur défaite n’est plus qu’une question de temps (Gras, 1979, pp. 239-240 ; Salan 2, 1971, pp. 140-141). Cette menace oblige Salan à laisser ouverte la R.C. 4 pour couvrir la frontière. Il note dans ses mémoires : « Nous voilà exposés à un nouveau danger : l’effondrement de la Chine de Tchang Kaï Check et la collusion de la Chine rouge avec le Vietminh qui ne fait plus de doute. » (Salan 2, 1971, p. 144)


22 mars 48 : Bao Daï envoie à Saïgon Diem. Il doit rencontrer Bollaert pour tenter d’améliorer le sens du mot « indépendance » tel qu’il le conçoit. Diem se heurte à un refus du haut-commissaire qui défend la position du gouvernement français (De Folin, 1993, p. 194). Diem repartira pour Hong Kong. Devillers note : « C’était virtuellement la rupture. Personne cependant ne voulait en prendre la responsabilité. » (Devillers, 2010, p. 227)


23 mars 48 : A la suite de l’affaire du convoi Saigon-Dalat (voir 1er mars) qui a eu un retentissement dans la presse, Bollaert téléphone au président du Conseil et évoque les sanctions qui ne tardent pas à tomber. Selon lui, le lieutenant-colonel Priou (commandant le secteur de Bien Hoa) n’a pas prêter « toute l’attention désirable à la surveillance de cet important convoi et [n’a] pas réagi avec assez de vigueur ». Lui et son subordonné sont relevés de leurs fonctions et renvoyés en France. C’est, une fois de plus, ignorer la montée en puissance du VM et sa capacité à frapper là où il l’entend. C’est aussi ignorer le manque de moyen du corps expéditionnaire : un escadron du 5e Cuirassiers qui devait disposer de 8 automitrailleuses pour accompagner le convoi ne disposait que d’une seule en état de fonctionnement, faute de pneumatiques. Ce que ne manquera pas de souligner Boyer de la Tour (commandant les T.F.I.S.) lorsqu’il observe qu’ « il est au moins paradoxal que les unités d’Indochine du Sud dont une des missions essentielle est de protéger les plantations de caoutchouc, manquent de pneumatiques »… (Cadeau, 2019, pp. 232-233)


24 mars 48 : Pour débloquer la situation, Bao Daï propose de Hong-Kong la formation d’un    « gouvernement central provisoire » qui assurerait la transition et participerait aux ultimes négociations avant l’indépendance. Mais la tentative demeure avortée, les délégués nationalistes refusent de l’approuver plus pour des questions de rivalités personnelles que par réelle conviction. Une seconde tentative a lieu le 26 (Gras, 1979, p. 211).


25 mars 48 : Changement d’attitude des Hoa Hao à l’égard des Français. Un commando de la secte de la région de Cantho passe à la dissidence après avoir massacré les cadres français. L’action fait tache d’huile dans les jours qui suivent. Les Français sont obligés de réagir par la force (voir 17 avril) (Gras, 1979, p. 226).


26 mars 48 : Bao Daï passe outre l’échec du 24 et proclame la constitution d’un prochain gouvernement qui aurait pour mission, selon Gras,  « de passer avec la France un modus vivendi à portée limitée […] qui offrira aux deux parties l’occasion de s’entendre sur le terrain de l’action et de créer l’atmosphère de confiance réciproque par des faits concrets. Il pourra unifier toutes les forces armées nationales actuellement disparates et organiser les services administratifs et techniques à l’échelle nationale ». Pour autant, Bao Daï continue à faire traîner les choses, se contentant d’échafauder un gouvernement aux attributions restreintes dont il refuse d’assumer la présidence qui serait finalement confiée au général Xuan. Or ce dernier est loin de rallier les factions nationalistes (Gras, 1979, pp. 211-212 ; Devillers, 2010, pp. 227-228).


27 mars 48 : Lors d’un Conseil de Défense, Salan signale une carence de 30 000 hommes sur un effectif théorique de 108 000. Les pertes ne sont en fait remplacées que partiellement. Le plan déjà revu à la baisse de 90 000 hommes voulu par le gouvernement ne sera pas tenu. Salan ne croit guère aux renforts vietnamiens, il demande (comme son prédécesseur Valluy) 115 000 hommes dont 48 000 Français. Pensant porter ses efforts au Tonkin, il demande un apport de 25 000 hommes avant le 1er septembre et « un effort massif » avant le 1er juin. Son message déplait à Paris et lui vaudra un limogeage de l’intérim qu’il assume (voir 22 avril) (Gras, 1979, p. 241).

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