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par Jean-François Jagielski

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Août 63 : Halberstam constate que « l’armée [américaine] commen[ce] à fonctionner de plus en plus comme un organe séparé […] en protégeant ses officiers supérieurs. » Il observe, en allant sur le terrain, une nette détérioration de la situation militaire dans le delta du Mékong avec « l’apparition de formidables bataillons vietcong qui déferlaient presque sans opposition », qui plus est, équipés d’armes américaines prises aux S-V. Il publie un article qui est lu par Kennedy et l’impressionne. Le président demande des explications à l’armée en la personne du général Dick Stilwell (chef d’opération à la M.A.C.V.). Ce dernier prépare un épais dossier qui contredit l’article. La publication des dossiers de Pentagone montrera que l’article du journaliste disait vrai, là où le rapport Stilwell-Krulak n’était qu’un tissu de contre-vérités (Halberstam, 1974, p. 317).


Saloth Sar (futur Pol Pot) se trouve toujours à cette époque au « bureau 100 » situé à la frontière khméro-vietnamienne, côté vietnamien (Deron, 2009, p. 263).
1<sup>er</sup> août 63 : '''Nomination d’Henry Cabot Lodge au poste d’ambassadeur des U.S.A. au S-V.''' Ses lettres de créance seront présentées le 26. Il succède à Nolting, discrédité pour ses indulgences à l’égard de Diem. Avec cette nomination, Diem et les Nhu vont être progressivement lâchés par les Américains.
5 août 63 : Immolation par le feu d’un bonze à Phan Tiet, petit port au nord de Saigon. Cet acte provoque les réactions sarcastiques de M<sup>ame</sup> Nhu qui appelle à ce qu’il y ait encore beaucoup d’actes de ce genre et qu’elle les applaudirait à l’avance (voir 8 août) (Halberstam, 1966, p. 213).
Accord de pacification conclu par l’U.R.S.S., la Grande-Bretagne et les U.S.A., au grand dam de la Chine. Il porte sur l'interdiction des essais d'armes nucléaires dans l'atmosphère, dans l'espace extra-atmosphérique et sous l'eau.
8 août 63 : Déclaration de madame Nhu à un correspondant américain disant que l’attitude des moines bouddhistes s’immolant par le feu était un comportement confinant à la folie et qu’elle applaudirait s’il y avait un prochain '''« barbecue »'''.
'''«''' 8 août - Dans un discours, M<sup>ame</sup> Nhu qualifie les bouddhistes de traîtres et affirme qu'ils sont sous l'influence des étrangers et des communistes. » (Union Calendar n° 371, 88<sup>e</sup> Congress, 1<sup>st</sup> Session, report n° 893, “Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19)”, 1963, p. 7) Ces déclarations intempestives créent une réprobation de l’opinion publique américaine et de violentes critiques à l’égard de l’administration Kennedy dans son soutien de plus en plus hésitant au régime diémiste.
11 août 63 : « 11 août. - Des manifestants antigouvernementaux à Saigon portent des slogans dénonçant Madame Nhu. » (Union Calendar n° 371, 88<sup>e</sup> Congress, 1<sup>st</sup> Session, report n° 893, “Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19)”, 1963, p. 7)
13 août 63 : « Le 13 août, une jeune fille bouddhiste tente de se suicider dans une pagode de Saigon. - Un jeune moine bouddhiste s'est immolé par le feu près d’Hué. Les chefs bouddhistes ont revendiqué ce suicide et les précédents n'ont pas été sanctionnés par la hiérarchie. Le lendemain, les bouddhistes et les troupes gouvernementales s'affrontent près d’Hué. » (Union Calendar n° 371, 88<sup>e</sup> Congress, 1<sup>st</sup> Session, report n° 893, “Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19)”, 1963, p. 7)
Dans une interview au journaliste australien William Burchett, HCM, tout en décriant le régime diémiste et le rôle des Américains, laisse une porte ouverte : « Pour peu que les interventionnistes étrangers se retirent, il semble qu’un cessez-le-feu pourrait être négocié entre les forces diémistes et celle du Front de Libération. » Il s’agit de « créer les conditions permettant au peuple d’élire librement et démocratiquement un gouvernement de son choix. Entre ce gouvernement et celui de la R.D.V.N., des accords pourraient être négociés. » (cité ''in'' Chaffard, 1969, p. 312) Cet interview est peut-être une réponse aux démarches secrètes entreprises par Nhu depuis juin.
14 août 63 : Diem promet à Nolting (toujours ambassadeur en titre) de chercher la conciliation dans la crise bouddhiste, ce qu’il annoncera dans une conférence de presse le 15 (''Le dossier du Pentagone'', 1971, p. 196).
15 août 63 : L’ambassadeur à Saigon Frederick Nolting quitte définitivement son poste. Son remplaçant, Henry Cabot Lodge, prendra ses fonctions dans la nuit du 22 au 23 août (Halberstam, 1966, p. 213).
'''«''' Le 15 août. - Diem a déclaré à un correspondant américain que sa politique de conciliation envers les Bouddhistes était « irréversible » » (Union Calendar n° 371, 88<sup>e</sup> Congress, 1<sup>st</sup> Session, report n° 893, « Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19, 1963), p. 8).
Un article d’Halberstam dans le ''Times Magazine'' décrit et révèle la détérioration de la situation au cours de l’année 1962 dans le delta du Mékong : «  […] le Vietcong communiste prend le pas dans le Delta. C’est d’autant plus inquiétant que son influence persiste malgré les manœuvres américaines entreprises vingt mois auparavant. » (Halberstam, 1966, p. 185)
Au Cambodge, début des émissions anti-Sihanoukistes de la radio des Khmers Serei financée par la C.I.A. et émettant à partir du Sud-Vietnam et de la Thaïlande.
16 août 63 : La vague d’immolations de moines bouddhistes se poursuit : « Le 16 août. - Un vieux prêtre bouddhiste s'est suicidé en s’immolant devant une pagode à Hué, apparemment avec l'approbation des chefs bouddhistes. Un couvre-feu strict a été imposé à Huê et à Nha Trang. » (Union Calendar n° 371, 88<sup>e</sup> Congress, 1<sup>st</sup> Session, report n° 893, “Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19, 1963)”, p. 8).
18 août 63 : Importante manifestation en faveur des Bouddhistes (15 000 personnes selon Halberstam) autour de la pagode Xa Loi à Saigon (Halberstam, 1966, p. 221).
19 août 63 : Des rumeurs commencent à circuler à Saigon : Nhu aurait l’intention de s’en prendre aux pagodes. Il a fait mobiliser les forces spéciales du colonel Tung et a réuni les généraux. Il leur a reproché de ne pas prendre suffisamment de précautions contre les possibilités d’un éventuel coup d’État. Lui et sa famille doivent pouvoir trouver refuge dans un lieu tenu secret alors que les généraux qui lui sont fidèles doivent tenir Saigon sous le feu de leur artillerie pour éviter les combats de rues. Une première réunion en date du 16 qui portait sur les mêmes questions n’avait pas abouti : à la demande de Nhu aux généraux de rester pour avoir un entretien avec lui, personne n’était resté sur place (Halberstam, 1966, pp. 221-222).
20 - 21 août 63 : En violation de la parole donnée aux États-Unis de rechercher une conciliation, Nhu (avec l’assentiment de Diem ?) déclenche des raids de nuit contre les pagodes menés par les forces spéciales sud-vietnamiennes. La loi martiale est décrétée. 1 400 personnes sont arrêtées et certaines battues.
« Les 20 et 21 août. Des raids sont menés contre des pagodes à Saigon, à Hué et dans d'autres grandes villes côtières peu après minuit, à la suite de la proclamation de la loi martiale. Le gouvernement prétend avoir dissimulé des armes et des preuves de l'implication du Vietcong. Un nombre inconnu de bouddhistes ont été arrêtés. Les États-Unis publient une déclaration déplorant le recours à des mesures répressives. » (Union Calendar n° 371, 88<sup>e</sup> Congress, 1<sup>st</sup> Session, report n° 893, “Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19, 1963)”, p. 8)
20 août 63 : Diem nomme le général Tran Van Dong au poste de chef d’état-major des armées. Il décrète, avec l’accord du gouvernement après proclamation l’état de siège (voir 21 juin), l’instauration de '''la loi martiale''' et nomme Ton Tan Dinh commandant de la région de Saigon (Prados, 2011, p. 163). Le ministre de la Défense du gouvernement Diem, Nguyen Dinh Thuan, se désolidarise du gouvernement et affirme à l’ambassade américaine qu’en « aucun cas les États-Unis ne devaient consentir à couvrir les agissements de M. et M<sup>ame</sup> Nhu. » Le ministre des Affaires étrangères, Vu Van Mau, démissionne également et se fait raser la tête à l’image des bonzes (''Le dossier du Pentagone'', 1971, p. 197 ; Tran Van Don, 1985, p. 118).
Selon une habitude rôdée, M<sup>ame</sup> Nhu déclare de manière tonitruante à un journaliste que le gouvernement a écrasé la veille un complot bouddhiste inspiré par les communistes. Elle déclare par ailleurs que « c’était le plus beau jour de sa vie depuis l’anéantissement des Binh Xuyen en 1955. » (Halberstam, 1966, p. 228).
Nuit du 20 au 21 août 63 : Nhu (en présence de Diem ?) convoque à 4 h 30 du matin les ministres en conseil extraordinaire : des agents de la C.I.A. profitant de la crise religieuse prépareraient un putsch militaire pour le 27. Il faut donc prendre le contrôle des pagodes avec l’aide des forces spéciales du colonel Le Quang Tu en qui Nhu a plus confiance qu’en celles de l’armée régulière (Chaffard, 1969, p. 313).
Tran Van Don se rend avec Khiem à la pagode Xa Loi et observe l’intervention de la police secrète de Nhu et des forces spéciales : « Ce qui s’y déroulait nous rendit honteux. C’était une véritable boucherie ». Le témoin constate la présence d’« une trentaine de blessés » et l’existence de nombreux disparus (Tran Van Don, 1985, pp. 118-119).
Les 2 généraux prennent les devants et vont informer les Américains de ce qu’ils ont vu afin que l’armée dont ils sont les représentants soit disculpée de ces actes odieux. Ils leur révèlent que Nhu tente de traiter avec Hanoi. Ils évoquent alors l’éventualité d’une tentative de putsch et cherchent à obtenir l’aval des Américains (voir 24 août) (Chaffard, 1969, p. 314).
22 août 63 : « Le 22 août, les États-Unis publient une déclaration déplorant le recours à des mesures répressives. Le ministre des Affaires étrangères du Vietnam, Vu Van Mau, démissionne en signe de protestation. » (Union Calendar n° 371, 88<sup>e</sup> Congress, 1<sup>st</sup> Session, report n° 893, “Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19)”, 1963, p. 8)
Le chef de l’antenne de la C.I.A. à Saigon, John Richardson, favorable à Nhu et soutenant les thèses optimistes d’Harkins, demande à rencontrer Halberstam pour évoquer le coup de force de Nhu (voir nuit du 20 au 21). Il lui déclare : « Ce n’est pas vrai, nous ne savions pas. Nous ne savions vraiment pas, je vous l’assure. » Des entretiens d’Halberstam avec des subordonnés de Richardson montrent pourtant que ce dernier est volontairement resté sourd à leurs avertissements (Halberstam, 1966, pp. 229-230 et p. 242). Parmi eux, certains soutiennent ostensiblement la révolte des bonzes.
Sheenhan et Halberstam mettent en cause dans plusieurs articles la version officielle produite par Nhu incriminant l’armée s-v dans les événements de la nuit du 20 au 21. Ils montrent que c’est Nhu et lui seul qui est à l’origine du coup de force contre les pagodes, une version qui plus est, contestée par les autorités américaines de Saigon. Quant à Diem, il est en position de total retrait (Halberstam, 1966, p. 232). Face à la censure et au blocage des moyens de communication, les deux journalistes seront obligés de ruser pour faire partir leurs papiers non censurés par le biais de vols militaires. Mis au courant, le M.A.C.V. cherchera à entraver ce procédé en interdisant cette pratique.
Nuit du 22 août 63 : '''Lodge arrive un peu avant minuit à Saigon pour prendre ses fonctions'''. C’est un Républicain, ancien candidat à la présidence (1960), choisi par un président démocrate. Kennedy l’a pris parce qu'il savait qu'il accepterait ce poste difficile mais aussi parce que le président veut faire montre d’ouverture politique en cette période d’engagement des États-Unis dans une période électorale. Lodge restera en poste jusqu’au 25 avril 1967. Dès son arrivée, il cherche à entrer immédiatement en contact avec la presse, montrant ainsi dans quel camp il se positionne (Halberstam, 1966, p. 232).
Durant toute la crise bouddhiste, l’ambassadeur adoptera ouvertement une attitude anti-frères-Ngo : il se fait photographier avec une jeune fille bouddhiste près de l’assemblée nationale, il héberge le bonze Thich Tri Quang à l’ambassade américaine et va se faire ouvertement couper les cheveux chez le coiffeur qui avait rasé le crâne du ministre des Affaires étrangères Vu Van Mau en signe de protestation contre l’oppression bouddhiste (Truong Vinh Le, 1989, p. 93).
23 août 63 : Tran Van Don demande à rencontrer Conein (C.I.A., ambassade de Saigon). Il lui explique ce qu’il a vu lors de l’attaque des pagodes (voir 20 - 21 août) et disculpe le rôle de l’armée régulière dans l’affaire. Conein est « sidéré par l’opération de Nhu ». Même s’il n’en dit rien dans ses mémoires, c’est sans doute lors de cette entrevue que Tran Van Don donne des assurances à Conein sur l’imminence du coup d’État. Prévu initialement pour le 26, il doit être reporté à une date ultérieure car, le 22, Harkins s’est plaint à Don d’une indiscrétion d’un colonel vietnamien faite à un officier américain. Or, dans la version officielle, les Américains (Harkins) ne sont nullement impliqués dans l’affaire. Dans les faits, les futurs conjurés sont toujours aussi indécis qu’impréparés. Ce que Don ne dit pas dans ses écrits (Tran Van Don, 1985, pp. 120-121 ; ''Le dossier du Pentagone'', 1971, p. 209).
24 août 63 : 2 jours après son arrivée à Saigon, Lodge adresse au Département d’État un télégramme faisant le point sur la situation et l’informant du projet de coup d’État qui, selon les futurs conjurés, doit avoir lieu au plus tard le 2 novembre (''Le dossier du Pentagone'', 1971, p. 210).
Court-circuitant les dirigeants (dont MacNamara, Taylor, McGeorge Bundy, McCone et même Kennedy, tous partis en congé hebdomadaire) et tous les échelons gouvernementaux et administratifs qui auraient dû en être informés, le quatuor antidiémiste Roger Hilsman (secrétaire d’État adjoint aux affaires d’Extrême-Orient), Averell Harriman (sous-secrétaire d’État aux Affaires politiques pour le Sud-Est asiatique), Georges Ball (sous-secrétaire d’État) et Roger Forrestal (adjoint d’Harriman, membre du Conseil national de sécurité) rédigent à l’intention de Lodge la réponse suivante : « Le gouvernement américain ne peut tolérer une situation où le pouvoir repose entre les mains de Nhu. Il faut offrir à Diem l’occasion de se débarrasser de Nhu et sa clique […] Si, en dépit de tous vos efforts, Diem demeure inébranlable et refuse, nous devrons alors envisager la possibilité que Diem lui-même ne soit pas maintenu au pouvoir […] » (larges extraits ''in'' McNamara, 1992, p. 64) Ce télégramme met en cause Nhu et non directement Diem qu’il ménage d’ailleurs partiellement : « Nous souhaitons donner à Diem une chance raisonnable de chasser Nhu, mais, s’il s’entête, nous sommes prêts à accepter l’évidente conclusion que nous ne pouvons plus soutenir Diem. » (McNamara, 1992, p. 64) Lodge, qui veut se débarrasser de Diem, ne tiendra pas compte de cette nuance. Kennedy, en week-end à Hyannis Port, fut-il mis au courant de cette initiative dès son origine ou fut-il mis tardivement devant un fait accompli ? Ce point demeure obscur.
C’est Michael Forrestal (membre du Conseil national de sécurité) qui transmet '''le câble 243''' à Kennedy lui précisant qu’il a obtenu l’accord de toutes les parties impliquées. Ce qui est faux puisque seuls des subalternes et non leurs dirigeants vont émettre un avis favorable voire réservé.
Kennedy donne son aval à l’envoi du câble si tout son entourage l’approuve. Ball et Harriman prennent alors contact avec les services concernés mais n’obtiennent que la réponse de « seconds couteaux ». Helms (adjoint de McCone, également absent, directeur adjoint aux plans) donne son aval pour la C.I.A. Roswell Gilparic (secrétaire à la Défense adjoint par intérim, McN étant absent et Colby ayant été court-circuité) approuve pour le compte de la direction civile de son département, pensant ainsi avoir le feu vert de McN. Dean Rusk (secrétaire d’État) aurait exprimé de New-York des réticences verbales mais aurait déclaré qu’il se soumettait à la décision du président (Francini 2, 1988, p. 254 ; MacNamara, 1996, p. 65). Quant à Taylor (conseiller militaire de Kennedy), il n’est informé qu’après l’expédition du télégramme. Il ne donnera cependant pas son approbation, parlant d’« intrigue caractérisée » (MacNamara, 1996, p. 66). Le « câble 243 » est donc envoyé le jour même à Lodge à 21 h 36, heure de Washington. Selon McN, « les parrains du câble étaient bien décidés à le transmettre à Saigon le jour même. » (MacNamara, 1996, p. 65)
Colby y voit rétrospectivement « un télégramme qui allait lancer le gouvernement américain sur la voie de sa première grande erreur dans la guerre du Vietnam – le renversement du gouvernement de Diem. » (Colby, 1992, pp. 149-151) Nolting estime lui aussi ''a posteriori'' que « le télégramme du 24 août devint un facteur décisif dans l’engagement de notre pays dans la plus longue et la plus inutile de toutes les guerres de l’histoire américaine. » (cité ''in'' Rignac, 2018, p. 241)
L’emballement se produit avant tout dans la partie du camp américain opposée à Diem. Car les conjurés vietnamiens pèchent quant à eux par leur impréparation et encore plus par leur absence de projet alternatif. Ils sont d’ailleurs loin d’être tous d’accord sur l’avenir du pays et n’ont pas de leader (Rignac, 2018, pp. 242-243).
Câblogramme de Rusk à Lodge qui désavoue enfin clairement le régime diémiste. Nhu ayant fait intervenir les forces spéciales contre les pagodes, « le gouvernement des États-Unis ne peut tolérer une situation dans laquelle Nhu détiendrait la réalité du pouvoir. Il faut donner une chance à Diem de se débarrasser de Nhu et de sa coterie, et de les remplacer par des personnalités militaires et politiques moins compromettantes. Si, en dépit de vos efforts, Diem s’entête à refuser, vous devez envisager la possibilité de ne pas lui venir en aide si quelque chose se trame contre lui […] Souhaitons que vous accordiez un délai raisonnable à Diem pour éliminer les Nhu, mais s’il s’obstine nous serons prêt à retirer de ce refus la déduction évidente que nous ne pouvons plus soutenir Diem. L’assurance peut également être donnée à certains généraux appropriés qu’ils disposeront de notre soutien direct à tout moment pendant la vacance du pouvoir central. » L’aide militaire et économique au S-V sera suspendue, ce qu’il faut le faire savoir aux militaires. L’ambassadeur doit également leur faire savoir que les Américains considèrent qu’ils ne sont pas responsables de l’affaire des Pagodes. Rusk donne un feu vert à son subordonné : « Vous noterez que nous vous soutiendrons entièrement dans ce que vous entreprendrez pour parvenir à vos fins. » (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 147-149 ; ''Le dossier du Pentagone'', 1971, pp. 222-223).
25 août 63 : Réponse de Lodge à Rusk (secrétaire d’État) et Hilsman (secrétaire d’État adjoint aux affaires d’Extrême-Orient) au sujet du message de la veille.  Pour l’ambassadeur, Diem n’obtempèrera pas. Il faut cependant ne rien lui dire de la position américaine car Nhu contrôle les forces armées à Saigon. Et Lodge de préciser, « je propose que nous présentions directement nos demandes aux généraux, sans en informer Diem. » '''Ce sont donc eux qui décideront du maintien ou non de Diem'''. Ils devront exiger immédiatement la mise en liberté des Bouddhistes et le respect des accords du 16 juin (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 147-149 ; Le dossier du Pentagone, 1971, p. 223).
Les troubles se poursuivent à Saigon : « Le 25 août […] plusieurs centaines d'étudiants sont arrêtés après les manifestations avortées à Saigon. Des manifestations ont également eu lieu au marché central de Saigon ; une fille a été tuée par la balle d'un policier. » (Union Calendar n° 371, 88<sup>e</sup> Congress, 1<sup>st</sup> Session, report n° 893, “Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19, 1963)”, p. 8)
26 août 63 : '''L’ambassadeur à Saigon Henry Cabot Lodge présente ses lettres d’accréditation''' et demeurera en poste jusqu’au 28 juillet 1964. Il convoque d’entrée une réunion à Saigon pour réfléchir à la manière d’organiser le coup d’État contre Diem. Selon McN, « il décida que la main des États-Unis ne devait pas apparaître officiellement, et il confia à la station de la C.I.A. [Conein], qui avait reçu l’ordre de prendre ses directives politiques chez l’ambassadeur, la réalisation de l’opération […] Quand le câble arriva, il l’interpréta exactement dans le sens souhaité par son auteur : comme un ordre du président Kennedy d’encourager l’armée sud-vietnamienne à réaliser un coup d’État (en fait, le télégramme ne lui donnait pas explicitement cette instruction). » (MacNamara, 1996, pp. 66-67) Or, officiellement, les U.S.A. ne doivent pas cautionner les rapports de Harkins avec les futurs généraux putschistes (Minh, Don, Kim, Tran Thien Khiem, Nguyen Khanh) car seuls Conein et la C.I.A. sont habilités à le faire (''Le dossier du Pentagone'', 1971, p. 199).
Kennedy provoque une réunion du C.N.S. et demande si quelqu’un souhaite modifier le « câble 213 » envoyé le 24. Personne ne réagit, faute d’autre solution à proposer (Colby, 1989, p. 151). McN ne dit rien dans ses mémoires de cette réunion avec le président. Il se contente de digresser sur les relations entre Kennedy et la presse (McNamara, 1996, pp. 67-68). L’ex-ambassadeur Nolting conseille à Kennedy de ne rien entreprendre mais se fait rabrouer par Harriman. Le président ne tranche pas et laisse de fait carte blanche à Lodge, tout en reprochant à Forrester d’avoir agi trop vite dans l’envoi du câble 253.
John Richardson (responsable de la C.I.A. à Saigon) transmet à son Q.G. le message suivant : « Durant la phase initiale de l’opération de la prise de pouvoir, nous ne pourrons leur [les généraux complotistes] être d’aucun secours. Le succès ou l’échec dépend uniquement de leur action. Qu’ils ne s’attendent pas à être parachutés. » Dans un autre message adressé à McCone, Richardson précise que Lodge a fait savoir que les Américains n’interviendraient pas et que donc, Harkins ne prendra pas directement contact avec les conjurés. C’est Conein (C.I.A., ambassade de Saigon) qui le fera (''Le dossier du Pentagone'', 1971, p. 199 et 234).
27 août 63 : Nouvelle réunion à la Maison Blanche dans le cadre d’un C.N.S. où l’on tergiverse plus que jamais. Un rapport de Colby décrit une situation calme à Saigon et une absence d’agitation dans les campagnes. Krulak (conseiller interarmes des chefs d’état-major) décrit un impact limité dans les campagnes et une absence de fléchissement de l’armée s-v. Rusk observe que Lodge ne s’est pas encore pour l’instant entretenu avec Diem. Nolting (ancien ambassadeur à Saigon) constate qu’il sera difficile de séparer Diem de son frère et que les généraux putschistes s-v manquent d’unité et d’autorité réelle au sein de l’armée. Kennedy réagit en disant qu’il ne voit pas d’intérêt à organiser un coup d’État qui a peu de chance de réussir et s’interroge sur les bases d’appui militaire en faveur des futurs putschistes. Il estime « que nous n’avions pas atteint le point de non-retour, où il serait impossible de retarder le coup d’État ». Il préconise donc de s’en remettre à Lodge (voir 29 août) (MacNamara, 1996, pp. 69-70).
Suite aux multiples querelles de territoires, incursions et violences à l’égard des populations frontalières et de l’existence de la crise bouddhiste, '''le Cambodge décide de rompre ses relations diplomatiques avec le gouvernement de Diem''' (Cambacérès, 2013, p. 136).
28 août 63 : 2 nouvelles réunions à la Maison Blanche.
1<sup>ère</sup> réunion : McN pose la question de l’intérêt du coup d’État. Ball répond qu’il n’y a pas d’autre choix possible. Kennedy l’approuve. Nolting, à son habitude, soutient Diem et émet des réserves sérieuses. Harriman estime que si l’on n’intervenait pas, il faudrait se retirer du Vietnam. Malgré ces dissensions, il est prévu de se revoir le jour même.
2<sup>e</sup> réunion : Kennedy demande à ce qu’on consulte au S-V Taylor, Harkins et Lodge sur ce qu’il faut faire (et non sur ce qu’il pensait des décisions qui avaient été prises à Washington le 24…). Il le regrettera ultérieurement (voir 4 novembre). McN, modéré, demande à ce qu’Harkins persuade Diem de changer d’attitude (MacNamara, 1996, pp. 70-71).
Télégramme de Richardson (chef de la C.I.A. à Saigon) à McCone (directeur de l’agence) : « Situation ici a atteint point de non-retour. Saigon est un camp retranché. […] La famille Ngo s’y terre pour livrer un ultime combat. Estimons après mûre réflexion que les généraux ne peuvent plus reculer. » Un entretien entre Conein et le général Khiem révèle qu’une majorité de généraux s-v sont prêts à passer à l’action (sauf Ton That Dinh et Cao). « Il faut bien se rendre compte cependant que leur tentative doit être couronnée de succès et que nous devons faire, de notre côté, tout ce qui est en notre pouvoir pour les aider à réussir. Si cette tentative n’a pas lieu, ou si elle se solde par un échec, nous pouvons dire sans exagération que le Vietnam risque fort d’être perdu à très court terme. » (''Le dossier du Pentagone'', 1971, pp. 224-225 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 151-152).
29 août 63 : Taylor, Harkins et Cabot Lodge sont tous d’accord pour dire qu’il faut lâcher Diem. Il y a cependant des nuances. Harkins entend détacher Nhu de Diem. McN demande à ce qu’Harkins persuade Diem de lâcher son frère mais émet plus que des réserves sur l’après-Diem (MacNamara, 1996, p. 71).
Kennedy adresse à Lodge un télégramme secret. Il l’assure d’un soutien total et lui affirme : « Nous ferons tout ce que nous pourrons pour vous aider à conclure cette opération avec succès. » Mais il se réserve le droit de l’interrompre à tout moment si sa réussite n’est pas sûre : « Si nous nous lançons, c’est pour gagner. Mais il vaudrait mieux changer d’avis que d’échouer. »
La France entend faire entendre sa voix à ce moment précis. L’ambassadeur de France à Saigon, Roger Lalouette, presse Lodge de ne pas soutenir le coup d’État contre Diem (Rignac, 2018, pp. 245-246 ; MacNamara, 1996, p. 71). Dans un communiqué publié à l’issue d’un conseil des ministres, De Gaulle fait savoir : « Le gouvernement français suit avec émotion les graves événements qui se déroulent au Vietnam. L’œuvre que la France y a naguère accomplie, les attaches qu’elle a gardée avec l’ensemble du pays l’amène à comprendre et à partager sincèrement les épreuves du peuple vietnamien. La connaissance que la France a de ce peuple lui fait deviner quel rôle il serait capable de jouer dans la situation actuelle de l’Asie, dès lors qu’il pourrait déployer son activité dans l’indépendance vis-à-vis de l’extérieur, la paix et l’unité intérieure, la concorde avec ses voisins. Tout effort national qui serait entrepris au Vietnam trouverait la France prête à organiser avec ce pays une cordiale coopération. » (cité ''in'' De Quirielle, 1992, p. 35)
'''C’est une ancienne position gaullienne déjà développée devant Kennedy lors de sa visite officielle de 1961 qui récuse la division du pays et préconise l’idée de neutralité, de non-intervention, de non-alignement et d’autodétermination des peuples'''. Elle rompt avec la position séparatiste de Diem soutenue jusque-là officiellement – mais seulement du bout des lèvres – par la France (Journoud, 2011, p. 117-118). '''De Gaulle inaugure ici, sans toutefois prononcer le mot, sa théorie du neutralisme mais aussi un retour diplomatique de la France au Vietnam depuis son désengagement progressif'''. Selon Truong Vinh Le, ce message du président français « a donné une certaine crédibilité à toute tentative de rapprochement entre le Nord et le Sud et suscité  assez d’intérêt dans les milieux politiques vietnamiens. Le Conseiller politique [Nhu] en parla ouvertement  aux correspondants de la presse étrangère. » (voir 23 octobre) (Truong Vinh Le, 1989, pp. 91-92). Au S-V, le courant neutraliste ne touche que les milieux urbains et intellectuels. Les campagnes souhaitent la paix mais demeurent « léthargiques », tout en demeurant perméables aux thèses du F.N.L.
Si cette déclaration fait beaucoup de bruit au niveau international, elle n’est guère entendue, ne serait-ce que par les 2 principaux États concernés. Pham Van Dong (premier ministre n-v) mettra un mois pour remercier De Gaulle d’avoir réaffirmé les principes de Genève. Diem, sans la rejeter totalement, affirmera que cette proposition n’est guère applicable à la situation présente. Les Américains quant à eux la rejette purement (Francini 2, 1988, pp. 277-278 ; Journoud, 2011, pp. 117-120).
Câble de Lodge à Rusk : « La voie dans laquelle nous nous sommes engagés – celle du renversement de Diem – est de celle où il est impossible de faire demi-tour sans perdre la face. » Les U.S.A. sont prêts à soutenir publiquement le coup d’État des généraux s’ils le demandent car, selon Lodge, ceux-ci doutent de « notre détermination de voir le coup d’État réussir. » » (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 152-155).
Câble de Rusk à Lodge après la tenue d’un nouveau C.N.S. : Harkins peut prendre directement contact avec les généraux mais sans soutenir ouvertement les conjurés. Le gouvernement américain soutiendra ceux qui chasseront les Nhu. Lodge peut annoncer au moment où il le juge bon que l’aide américaine à l’actuel gouvernement du S-V est suspendue (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 155-156).
30 août 63 : Câble alambiqué et cousu de fil blanc de Lodge à Rusk, en réponse à un message du secrétaire d’État qui avait « pour but d’étudier les chances d’une tentative visant à séparer Diem et les Nhu. »
Rusk reproche alors à l’ambassadeur de « mettre Diem et Nhu dans le même sac », là où l’administration américaine prétend (hypocritement…) ne souhaiter que le départ des Nhu. Lodge répond à Rusk avoir saisi la nuance mais que ce départ ne peut être conditionné que par une prise de pouvoir par les généraux. Lodge prétend (faussement…) vouloir conserver Diem si celui-ci entend se débarrasser définitivement de Nhu. Le mieux étant que les généraux fassent la besogne. Mais, de leur côté, ils sont toujours indécis… (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 156-158).
31 août 63 : Les membres du C.N.S. se réunissent en l’absence de Kennedy pour envisager l’avenir. Sont présents : LBJ, Rusk, McN et Gilpatric (Défense), McGeorge Bundy, Taylor (Président du Conseil interarmes des chefs d’état-major), Murrow (U.S.I.A.), Helms et Colby (C.I.A.), Nolting (qui n’est plus en poste), Hillsman (secrétaire d'État adjoint pour les affaires d'Extrême-Orient), Kattenburg (département d’État) et Krulack (rapporteur).
'''A ce moment précis, l’administration américaine se trouve à la dérive face au cas Diem.''' Les membres du cabinet entrevoient diverses solutions allant du soutien à Diem (McNamara) au retrait des troupes américaines du S-V, sachant qu’il y a un risque de renvoi de celles-ci par le gouvernement du S-V dans les semaines à venir si le putsch échoue (''Le dossier du Pentagone'', 1971, p. 203 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 160-164). Paul Kaltenburg (fonctionnaire du département d’État, président du groupe interministériel de travail sur le Vietnam) condamne la politique de Diem et prône un retrait pur et simple (Halberstam, 1974, p. 303).
Câble de Harkins à Taylor (chef d’état-major interarmes). Harkins a vu le général Khiem qui lui a rapporté que '''« le gros Minh avait cessé de faire des projets et étudiait d’autres possibilités. »''' Khiem et Khanh ont finalement renoncé au putsch, contrairement à Than mais ce dernier n’est pas soutenu par l’armée. '''Les généraux ne se sentent pas prêts car ils ne sont pas du tout sûrs d’être suivis par l’ensemble de l’armée s-v.'''
Harkins a rencontré Nhu qui se prétend toujours  soutenu par Kennedy et se dit prêt à respecter les injonctions américaines. Et Harkins de conclure : « La confusion est donc à son comble : tout le monde soupçonne tout le monde et personne n’est décidé à passer à l’action… Les Orientaux ne sont pas des gens pressés… » (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 158-159).

Dernière version du 27 juin 2025 à 18:51

Août 63 : Halberstam constate que « l’armée [américaine] commen[ce] à fonctionner de plus en plus comme un organe séparé […] en protégeant ses officiers supérieurs. » Il observe, en allant sur le terrain, une nette détérioration de la situation militaire dans le delta du Mékong avec « l’apparition de formidables bataillons vietcong qui déferlaient presque sans opposition », qui plus est, équipés d’armes américaines prises aux S-V. Il publie un article qui est lu par Kennedy et l’impressionne. Le président demande des explications à l’armée en la personne du général Dick Stilwell (chef d’opération à la M.A.C.V.). Ce dernier prépare un épais dossier qui contredit l’article. La publication des dossiers de Pentagone montrera que l’article du journaliste disait vrai, là où le rapport Stilwell-Krulak n’était qu’un tissu de contre-vérités (Halberstam, 1974, p. 317).

Saloth Sar (futur Pol Pot) se trouve toujours à cette époque au « bureau 100 » situé à la frontière khméro-vietnamienne, côté vietnamien (Deron, 2009, p. 263).


1er août 63 : Nomination d’Henry Cabot Lodge au poste d’ambassadeur des U.S.A. au S-V. Ses lettres de créance seront présentées le 26. Il succède à Nolting, discrédité pour ses indulgences à l’égard de Diem. Avec cette nomination, Diem et les Nhu vont être progressivement lâchés par les Américains.


5 août 63 : Immolation par le feu d’un bonze à Phan Tiet, petit port au nord de Saigon. Cet acte provoque les réactions sarcastiques de Mame Nhu qui appelle à ce qu’il y ait encore beaucoup d’actes de ce genre et qu’elle les applaudirait à l’avance (voir 8 août) (Halberstam, 1966, p. 213).

Accord de pacification conclu par l’U.R.S.S., la Grande-Bretagne et les U.S.A., au grand dam de la Chine. Il porte sur l'interdiction des essais d'armes nucléaires dans l'atmosphère, dans l'espace extra-atmosphérique et sous l'eau.


8 août 63 : Déclaration de madame Nhu à un correspondant américain disant que l’attitude des moines bouddhistes s’immolant par le feu était un comportement confinant à la folie et qu’elle applaudirait s’il y avait un prochain « barbecue ».

« 8 août - Dans un discours, Mame Nhu qualifie les bouddhistes de traîtres et affirme qu'ils sont sous l'influence des étrangers et des communistes. » (Union Calendar n° 371, 88e Congress, 1st Session, report n° 893, “Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19)”, 1963, p. 7) Ces déclarations intempestives créent une réprobation de l’opinion publique américaine et de violentes critiques à l’égard de l’administration Kennedy dans son soutien de plus en plus hésitant au régime diémiste.


11 août 63 : « 11 août. - Des manifestants antigouvernementaux à Saigon portent des slogans dénonçant Madame Nhu. » (Union Calendar n° 371, 88e Congress, 1st Session, report n° 893, “Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19)”, 1963, p. 7)


13 août 63 : « Le 13 août, une jeune fille bouddhiste tente de se suicider dans une pagode de Saigon. - Un jeune moine bouddhiste s'est immolé par le feu près d’Hué. Les chefs bouddhistes ont revendiqué ce suicide et les précédents n'ont pas été sanctionnés par la hiérarchie. Le lendemain, les bouddhistes et les troupes gouvernementales s'affrontent près d’Hué. » (Union Calendar n° 371, 88e Congress, 1st Session, report n° 893, “Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19)”, 1963, p. 7)

Dans une interview au journaliste australien William Burchett, HCM, tout en décriant le régime diémiste et le rôle des Américains, laisse une porte ouverte : « Pour peu que les interventionnistes étrangers se retirent, il semble qu’un cessez-le-feu pourrait être négocié entre les forces diémistes et celle du Front de Libération. » Il s’agit de « créer les conditions permettant au peuple d’élire librement et démocratiquement un gouvernement de son choix. Entre ce gouvernement et celui de la R.D.V.N., des accords pourraient être négociés. » (cité in Chaffard, 1969, p. 312) Cet interview est peut-être une réponse aux démarches secrètes entreprises par Nhu depuis juin.


14 août 63 : Diem promet à Nolting (toujours ambassadeur en titre) de chercher la conciliation dans la crise bouddhiste, ce qu’il annoncera dans une conférence de presse le 15 (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 196).


15 août 63 : L’ambassadeur à Saigon Frederick Nolting quitte définitivement son poste. Son remplaçant, Henry Cabot Lodge, prendra ses fonctions dans la nuit du 22 au 23 août (Halberstam, 1966, p. 213).

« Le 15 août. - Diem a déclaré à un correspondant américain que sa politique de conciliation envers les Bouddhistes était « irréversible » » (Union Calendar n° 371, 88e Congress, 1st Session, report n° 893, « Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19, 1963), p. 8).

Un article d’Halberstam dans le Times Magazine décrit et révèle la détérioration de la situation au cours de l’année 1962 dans le delta du Mékong : «  […] le Vietcong communiste prend le pas dans le Delta. C’est d’autant plus inquiétant que son influence persiste malgré les manœuvres américaines entreprises vingt mois auparavant. » (Halberstam, 1966, p. 185)

Au Cambodge, début des émissions anti-Sihanoukistes de la radio des Khmers Serei financée par la C.I.A. et émettant à partir du Sud-Vietnam et de la Thaïlande.


16 août 63 : La vague d’immolations de moines bouddhistes se poursuit : « Le 16 août. - Un vieux prêtre bouddhiste s'est suicidé en s’immolant devant une pagode à Hué, apparemment avec l'approbation des chefs bouddhistes. Un couvre-feu strict a été imposé à Huê et à Nha Trang. » (Union Calendar n° 371, 88e Congress, 1st Session, report n° 893, “Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19, 1963)”, p. 8).


18 août 63 : Importante manifestation en faveur des Bouddhistes (15 000 personnes selon Halberstam) autour de la pagode Xa Loi à Saigon (Halberstam, 1966, p. 221).


19 août 63 : Des rumeurs commencent à circuler à Saigon : Nhu aurait l’intention de s’en prendre aux pagodes. Il a fait mobiliser les forces spéciales du colonel Tung et a réuni les généraux. Il leur a reproché de ne pas prendre suffisamment de précautions contre les possibilités d’un éventuel coup d’État. Lui et sa famille doivent pouvoir trouver refuge dans un lieu tenu secret alors que les généraux qui lui sont fidèles doivent tenir Saigon sous le feu de leur artillerie pour éviter les combats de rues. Une première réunion en date du 16 qui portait sur les mêmes questions n’avait pas abouti : à la demande de Nhu aux généraux de rester pour avoir un entretien avec lui, personne n’était resté sur place (Halberstam, 1966, pp. 221-222).


20 - 21 août 63 : En violation de la parole donnée aux États-Unis de rechercher une conciliation, Nhu (avec l’assentiment de Diem ?) déclenche des raids de nuit contre les pagodes menés par les forces spéciales sud-vietnamiennes. La loi martiale est décrétée. 1 400 personnes sont arrêtées et certaines battues.

« Les 20 et 21 août. Des raids sont menés contre des pagodes à Saigon, à Hué et dans d'autres grandes villes côtières peu après minuit, à la suite de la proclamation de la loi martiale. Le gouvernement prétend avoir dissimulé des armes et des preuves de l'implication du Vietcong. Un nombre inconnu de bouddhistes ont été arrêtés. Les États-Unis publient une déclaration déplorant le recours à des mesures répressives. » (Union Calendar n° 371, 88e Congress, 1st Session, report n° 893, “Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19, 1963)”, p. 8)


20 août 63 : Diem nomme le général Tran Van Dong au poste de chef d’état-major des armées. Il décrète, avec l’accord du gouvernement après proclamation l’état de siège (voir 21 juin), l’instauration de la loi martiale et nomme Ton Tan Dinh commandant de la région de Saigon (Prados, 2011, p. 163). Le ministre de la Défense du gouvernement Diem, Nguyen Dinh Thuan, se désolidarise du gouvernement et affirme à l’ambassade américaine qu’en « aucun cas les États-Unis ne devaient consentir à couvrir les agissements de M. et Mame Nhu. » Le ministre des Affaires étrangères, Vu Van Mau, démissionne également et se fait raser la tête à l’image des bonzes (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 197 ; Tran Van Don, 1985, p. 118).

Selon une habitude rôdée, Mame Nhu déclare de manière tonitruante à un journaliste que le gouvernement a écrasé la veille un complot bouddhiste inspiré par les communistes. Elle déclare par ailleurs que « c’était le plus beau jour de sa vie depuis l’anéantissement des Binh Xuyen en 1955. » (Halberstam, 1966, p. 228).


Nuit du 20 au 21 août 63 : Nhu (en présence de Diem ?) convoque à 4 h 30 du matin les ministres en conseil extraordinaire : des agents de la C.I.A. profitant de la crise religieuse prépareraient un putsch militaire pour le 27. Il faut donc prendre le contrôle des pagodes avec l’aide des forces spéciales du colonel Le Quang Tu en qui Nhu a plus confiance qu’en celles de l’armée régulière (Chaffard, 1969, p. 313).

Tran Van Don se rend avec Khiem à la pagode Xa Loi et observe l’intervention de la police secrète de Nhu et des forces spéciales : « Ce qui s’y déroulait nous rendit honteux. C’était une véritable boucherie ». Le témoin constate la présence d’« une trentaine de blessés » et l’existence de nombreux disparus (Tran Van Don, 1985, pp. 118-119).

Les 2 généraux prennent les devants et vont informer les Américains de ce qu’ils ont vu afin que l’armée dont ils sont les représentants soit disculpée de ces actes odieux. Ils leur révèlent que Nhu tente de traiter avec Hanoi. Ils évoquent alors l’éventualité d’une tentative de putsch et cherchent à obtenir l’aval des Américains (voir 24 août) (Chaffard, 1969, p. 314).


22 août 63 : « Le 22 août, les États-Unis publient une déclaration déplorant le recours à des mesures répressives. Le ministre des Affaires étrangères du Vietnam, Vu Van Mau, démissionne en signe de protestation. » (Union Calendar n° 371, 88e Congress, 1st Session, report n° 893, “Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19)”, 1963, p. 8)

Le chef de l’antenne de la C.I.A. à Saigon, John Richardson, favorable à Nhu et soutenant les thèses optimistes d’Harkins, demande à rencontrer Halberstam pour évoquer le coup de force de Nhu (voir nuit du 20 au 21). Il lui déclare : « Ce n’est pas vrai, nous ne savions pas. Nous ne savions vraiment pas, je vous l’assure. » Des entretiens d’Halberstam avec des subordonnés de Richardson montrent pourtant que ce dernier est volontairement resté sourd à leurs avertissements (Halberstam, 1966, pp. 229-230 et p. 242). Parmi eux, certains soutiennent ostensiblement la révolte des bonzes.

Sheenhan et Halberstam mettent en cause dans plusieurs articles la version officielle produite par Nhu incriminant l’armée s-v dans les événements de la nuit du 20 au 21. Ils montrent que c’est Nhu et lui seul qui est à l’origine du coup de force contre les pagodes, une version qui plus est, contestée par les autorités américaines de Saigon. Quant à Diem, il est en position de total retrait (Halberstam, 1966, p. 232). Face à la censure et au blocage des moyens de communication, les deux journalistes seront obligés de ruser pour faire partir leurs papiers non censurés par le biais de vols militaires. Mis au courant, le M.A.C.V. cherchera à entraver ce procédé en interdisant cette pratique.


Nuit du 22 août 63 : Lodge arrive un peu avant minuit à Saigon pour prendre ses fonctions. C’est un Républicain, ancien candidat à la présidence (1960), choisi par un président démocrate. Kennedy l’a pris parce qu'il savait qu'il accepterait ce poste difficile mais aussi parce que le président veut faire montre d’ouverture politique en cette période d’engagement des États-Unis dans une période électorale. Lodge restera en poste jusqu’au 25 avril 1967. Dès son arrivée, il cherche à entrer immédiatement en contact avec la presse, montrant ainsi dans quel camp il se positionne (Halberstam, 1966, p. 232).

Durant toute la crise bouddhiste, l’ambassadeur adoptera ouvertement une attitude anti-frères-Ngo : il se fait photographier avec une jeune fille bouddhiste près de l’assemblée nationale, il héberge le bonze Thich Tri Quang à l’ambassade américaine et va se faire ouvertement couper les cheveux chez le coiffeur qui avait rasé le crâne du ministre des Affaires étrangères Vu Van Mau en signe de protestation contre l’oppression bouddhiste (Truong Vinh Le, 1989, p. 93).


23 août 63 : Tran Van Don demande à rencontrer Conein (C.I.A., ambassade de Saigon). Il lui explique ce qu’il a vu lors de l’attaque des pagodes (voir 20 - 21 août) et disculpe le rôle de l’armée régulière dans l’affaire. Conein est « sidéré par l’opération de Nhu ». Même s’il n’en dit rien dans ses mémoires, c’est sans doute lors de cette entrevue que Tran Van Don donne des assurances à Conein sur l’imminence du coup d’État. Prévu initialement pour le 26, il doit être reporté à une date ultérieure car, le 22, Harkins s’est plaint à Don d’une indiscrétion d’un colonel vietnamien faite à un officier américain. Or, dans la version officielle, les Américains (Harkins) ne sont nullement impliqués dans l’affaire. Dans les faits, les futurs conjurés sont toujours aussi indécis qu’impréparés. Ce que Don ne dit pas dans ses écrits (Tran Van Don, 1985, pp. 120-121 ; Le dossier du Pentagone, 1971, p. 209).


24 août 63 : 2 jours après son arrivée à Saigon, Lodge adresse au Département d’État un télégramme faisant le point sur la situation et l’informant du projet de coup d’État qui, selon les futurs conjurés, doit avoir lieu au plus tard le 2 novembre (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 210).

Court-circuitant les dirigeants (dont MacNamara, Taylor, McGeorge Bundy, McCone et même Kennedy, tous partis en congé hebdomadaire) et tous les échelons gouvernementaux et administratifs qui auraient dû en être informés, le quatuor antidiémiste Roger Hilsman (secrétaire d’État adjoint aux affaires d’Extrême-Orient), Averell Harriman (sous-secrétaire d’État aux Affaires politiques pour le Sud-Est asiatique), Georges Ball (sous-secrétaire d’État) et Roger Forrestal (adjoint d’Harriman, membre du Conseil national de sécurité) rédigent à l’intention de Lodge la réponse suivante : « Le gouvernement américain ne peut tolérer une situation où le pouvoir repose entre les mains de Nhu. Il faut offrir à Diem l’occasion de se débarrasser de Nhu et sa clique […] Si, en dépit de tous vos efforts, Diem demeure inébranlable et refuse, nous devrons alors envisager la possibilité que Diem lui-même ne soit pas maintenu au pouvoir […] » (larges extraits in McNamara, 1992, p. 64) Ce télégramme met en cause Nhu et non directement Diem qu’il ménage d’ailleurs partiellement : « Nous souhaitons donner à Diem une chance raisonnable de chasser Nhu, mais, s’il s’entête, nous sommes prêts à accepter l’évidente conclusion que nous ne pouvons plus soutenir Diem. » (McNamara, 1992, p. 64) Lodge, qui veut se débarrasser de Diem, ne tiendra pas compte de cette nuance. Kennedy, en week-end à Hyannis Port, fut-il mis au courant de cette initiative dès son origine ou fut-il mis tardivement devant un fait accompli ? Ce point demeure obscur.

C’est Michael Forrestal (membre du Conseil national de sécurité) qui transmet le câble 243 à Kennedy lui précisant qu’il a obtenu l’accord de toutes les parties impliquées. Ce qui est faux puisque seuls des subalternes et non leurs dirigeants vont émettre un avis favorable voire réservé.

Kennedy donne son aval à l’envoi du câble si tout son entourage l’approuve. Ball et Harriman prennent alors contact avec les services concernés mais n’obtiennent que la réponse de « seconds couteaux ». Helms (adjoint de McCone, également absent, directeur adjoint aux plans) donne son aval pour la C.I.A. Roswell Gilparic (secrétaire à la Défense adjoint par intérim, McN étant absent et Colby ayant été court-circuité) approuve pour le compte de la direction civile de son département, pensant ainsi avoir le feu vert de McN. Dean Rusk (secrétaire d’État) aurait exprimé de New-York des réticences verbales mais aurait déclaré qu’il se soumettait à la décision du président (Francini 2, 1988, p. 254 ; MacNamara, 1996, p. 65). Quant à Taylor (conseiller militaire de Kennedy), il n’est informé qu’après l’expédition du télégramme. Il ne donnera cependant pas son approbation, parlant d’« intrigue caractérisée » (MacNamara, 1996, p. 66). Le « câble 243 » est donc envoyé le jour même à Lodge à 21 h 36, heure de Washington. Selon McN, « les parrains du câble étaient bien décidés à le transmettre à Saigon le jour même. » (MacNamara, 1996, p. 65)

Colby y voit rétrospectivement « un télégramme qui allait lancer le gouvernement américain sur la voie de sa première grande erreur dans la guerre du Vietnam – le renversement du gouvernement de Diem. » (Colby, 1992, pp. 149-151) Nolting estime lui aussi a posteriori que « le télégramme du 24 août devint un facteur décisif dans l’engagement de notre pays dans la plus longue et la plus inutile de toutes les guerres de l’histoire américaine. » (cité in Rignac, 2018, p. 241)

L’emballement se produit avant tout dans la partie du camp américain opposée à Diem. Car les conjurés vietnamiens pèchent quant à eux par leur impréparation et encore plus par leur absence de projet alternatif. Ils sont d’ailleurs loin d’être tous d’accord sur l’avenir du pays et n’ont pas de leader (Rignac, 2018, pp. 242-243).

Câblogramme de Rusk à Lodge qui désavoue enfin clairement le régime diémiste. Nhu ayant fait intervenir les forces spéciales contre les pagodes, « le gouvernement des États-Unis ne peut tolérer une situation dans laquelle Nhu détiendrait la réalité du pouvoir. Il faut donner une chance à Diem de se débarrasser de Nhu et de sa coterie, et de les remplacer par des personnalités militaires et politiques moins compromettantes. Si, en dépit de vos efforts, Diem s’entête à refuser, vous devez envisager la possibilité de ne pas lui venir en aide si quelque chose se trame contre lui […] Souhaitons que vous accordiez un délai raisonnable à Diem pour éliminer les Nhu, mais s’il s’obstine nous serons prêt à retirer de ce refus la déduction évidente que nous ne pouvons plus soutenir Diem. L’assurance peut également être donnée à certains généraux appropriés qu’ils disposeront de notre soutien direct à tout moment pendant la vacance du pouvoir central. » L’aide militaire et économique au S-V sera suspendue, ce qu’il faut le faire savoir aux militaires. L’ambassadeur doit également leur faire savoir que les Américains considèrent qu’ils ne sont pas responsables de l’affaire des Pagodes. Rusk donne un feu vert à son subordonné : « Vous noterez que nous vous soutiendrons entièrement dans ce que vous entreprendrez pour parvenir à vos fins. » (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 147-149 ; Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 222-223).


25 août 63 : Réponse de Lodge à Rusk (secrétaire d’État) et Hilsman (secrétaire d’État adjoint aux affaires d’Extrême-Orient) au sujet du message de la veille.  Pour l’ambassadeur, Diem n’obtempèrera pas. Il faut cependant ne rien lui dire de la position américaine car Nhu contrôle les forces armées à Saigon. Et Lodge de préciser, « je propose que nous présentions directement nos demandes aux généraux, sans en informer Diem. » Ce sont donc eux qui décideront du maintien ou non de Diem. Ils devront exiger immédiatement la mise en liberté des Bouddhistes et le respect des accords du 16 juin (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 147-149 ; Le dossier du Pentagone, 1971, p. 223).

Les troubles se poursuivent à Saigon : « Le 25 août […] plusieurs centaines d'étudiants sont arrêtés après les manifestations avortées à Saigon. Des manifestations ont également eu lieu au marché central de Saigon ; une fille a été tuée par la balle d'un policier. » (Union Calendar n° 371, 88e Congress, 1st Session, report n° 893, “Report of the special study mission to Southeast Asia (October 3-19, 1963)”, p. 8)


26 août 63 : L’ambassadeur à Saigon Henry Cabot Lodge présente ses lettres d’accréditation et demeurera en poste jusqu’au 28 juillet 1964. Il convoque d’entrée une réunion à Saigon pour réfléchir à la manière d’organiser le coup d’État contre Diem. Selon McN, « il décida que la main des États-Unis ne devait pas apparaître officiellement, et il confia à la station de la C.I.A. [Conein], qui avait reçu l’ordre de prendre ses directives politiques chez l’ambassadeur, la réalisation de l’opération […] Quand le câble arriva, il l’interpréta exactement dans le sens souhaité par son auteur : comme un ordre du président Kennedy d’encourager l’armée sud-vietnamienne à réaliser un coup d’État (en fait, le télégramme ne lui donnait pas explicitement cette instruction). » (MacNamara, 1996, pp. 66-67) Or, officiellement, les U.S.A. ne doivent pas cautionner les rapports de Harkins avec les futurs généraux putschistes (Minh, Don, Kim, Tran Thien Khiem, Nguyen Khanh) car seuls Conein et la C.I.A. sont habilités à le faire (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 199).

Kennedy provoque une réunion du C.N.S. et demande si quelqu’un souhaite modifier le « câble 213 » envoyé le 24. Personne ne réagit, faute d’autre solution à proposer (Colby, 1989, p. 151). McN ne dit rien dans ses mémoires de cette réunion avec le président. Il se contente de digresser sur les relations entre Kennedy et la presse (McNamara, 1996, pp. 67-68). L’ex-ambassadeur Nolting conseille à Kennedy de ne rien entreprendre mais se fait rabrouer par Harriman. Le président ne tranche pas et laisse de fait carte blanche à Lodge, tout en reprochant à Forrester d’avoir agi trop vite dans l’envoi du câble 253.

John Richardson (responsable de la C.I.A. à Saigon) transmet à son Q.G. le message suivant : « Durant la phase initiale de l’opération de la prise de pouvoir, nous ne pourrons leur [les généraux complotistes] être d’aucun secours. Le succès ou l’échec dépend uniquement de leur action. Qu’ils ne s’attendent pas à être parachutés. » Dans un autre message adressé à McCone, Richardson précise que Lodge a fait savoir que les Américains n’interviendraient pas et que donc, Harkins ne prendra pas directement contact avec les conjurés. C’est Conein (C.I.A., ambassade de Saigon) qui le fera (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 199 et 234).


27 août 63 : Nouvelle réunion à la Maison Blanche dans le cadre d’un C.N.S. où l’on tergiverse plus que jamais. Un rapport de Colby décrit une situation calme à Saigon et une absence d’agitation dans les campagnes. Krulak (conseiller interarmes des chefs d’état-major) décrit un impact limité dans les campagnes et une absence de fléchissement de l’armée s-v. Rusk observe que Lodge ne s’est pas encore pour l’instant entretenu avec Diem. Nolting (ancien ambassadeur à Saigon) constate qu’il sera difficile de séparer Diem de son frère et que les généraux putschistes s-v manquent d’unité et d’autorité réelle au sein de l’armée. Kennedy réagit en disant qu’il ne voit pas d’intérêt à organiser un coup d’État qui a peu de chance de réussir et s’interroge sur les bases d’appui militaire en faveur des futurs putschistes. Il estime « que nous n’avions pas atteint le point de non-retour, où il serait impossible de retarder le coup d’État ». Il préconise donc de s’en remettre à Lodge (voir 29 août) (MacNamara, 1996, pp. 69-70).

Suite aux multiples querelles de territoires, incursions et violences à l’égard des populations frontalières et de l’existence de la crise bouddhiste, le Cambodge décide de rompre ses relations diplomatiques avec le gouvernement de Diem (Cambacérès, 2013, p. 136).


28 août 63 : 2 nouvelles réunions à la Maison Blanche.

1ère réunion : McN pose la question de l’intérêt du coup d’État. Ball répond qu’il n’y a pas d’autre choix possible. Kennedy l’approuve. Nolting, à son habitude, soutient Diem et émet des réserves sérieuses. Harriman estime que si l’on n’intervenait pas, il faudrait se retirer du Vietnam. Malgré ces dissensions, il est prévu de se revoir le jour même.

2e réunion : Kennedy demande à ce qu’on consulte au S-V Taylor, Harkins et Lodge sur ce qu’il faut faire (et non sur ce qu’il pensait des décisions qui avaient été prises à Washington le 24…). Il le regrettera ultérieurement (voir 4 novembre). McN, modéré, demande à ce qu’Harkins persuade Diem de changer d’attitude (MacNamara, 1996, pp. 70-71).

Télégramme de Richardson (chef de la C.I.A. à Saigon) à McCone (directeur de l’agence) : « Situation ici a atteint point de non-retour. Saigon est un camp retranché. […] La famille Ngo s’y terre pour livrer un ultime combat. Estimons après mûre réflexion que les généraux ne peuvent plus reculer. » Un entretien entre Conein et le général Khiem révèle qu’une majorité de généraux s-v sont prêts à passer à l’action (sauf Ton That Dinh et Cao). « Il faut bien se rendre compte cependant que leur tentative doit être couronnée de succès et que nous devons faire, de notre côté, tout ce qui est en notre pouvoir pour les aider à réussir. Si cette tentative n’a pas lieu, ou si elle se solde par un échec, nous pouvons dire sans exagération que le Vietnam risque fort d’être perdu à très court terme. » (Le dossier du Pentagone, 1971, pp. 224-225 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 151-152).


29 août 63 : Taylor, Harkins et Cabot Lodge sont tous d’accord pour dire qu’il faut lâcher Diem. Il y a cependant des nuances. Harkins entend détacher Nhu de Diem. McN demande à ce qu’Harkins persuade Diem de lâcher son frère mais émet plus que des réserves sur l’après-Diem (MacNamara, 1996, p. 71).

Kennedy adresse à Lodge un télégramme secret. Il l’assure d’un soutien total et lui affirme : « Nous ferons tout ce que nous pourrons pour vous aider à conclure cette opération avec succès. » Mais il se réserve le droit de l’interrompre à tout moment si sa réussite n’est pas sûre : « Si nous nous lançons, c’est pour gagner. Mais il vaudrait mieux changer d’avis que d’échouer. »

La France entend faire entendre sa voix à ce moment précis. L’ambassadeur de France à Saigon, Roger Lalouette, presse Lodge de ne pas soutenir le coup d’État contre Diem (Rignac, 2018, pp. 245-246 ; MacNamara, 1996, p. 71). Dans un communiqué publié à l’issue d’un conseil des ministres, De Gaulle fait savoir : « Le gouvernement français suit avec émotion les graves événements qui se déroulent au Vietnam. L’œuvre que la France y a naguère accomplie, les attaches qu’elle a gardée avec l’ensemble du pays l’amène à comprendre et à partager sincèrement les épreuves du peuple vietnamien. La connaissance que la France a de ce peuple lui fait deviner quel rôle il serait capable de jouer dans la situation actuelle de l’Asie, dès lors qu’il pourrait déployer son activité dans l’indépendance vis-à-vis de l’extérieur, la paix et l’unité intérieure, la concorde avec ses voisins. Tout effort national qui serait entrepris au Vietnam trouverait la France prête à organiser avec ce pays une cordiale coopération. » (cité in De Quirielle, 1992, p. 35)

C’est une ancienne position gaullienne déjà développée devant Kennedy lors de sa visite officielle de 1961 qui récuse la division du pays et préconise l’idée de neutralité, de non-intervention, de non-alignement et d’autodétermination des peuples. Elle rompt avec la position séparatiste de Diem soutenue jusque-là officiellement – mais seulement du bout des lèvres – par la France (Journoud, 2011, p. 117-118). De Gaulle inaugure ici, sans toutefois prononcer le mot, sa théorie du neutralisme mais aussi un retour diplomatique de la France au Vietnam depuis son désengagement progressif. Selon Truong Vinh Le, ce message du président français « a donné une certaine crédibilité à toute tentative de rapprochement entre le Nord et le Sud et suscité  assez d’intérêt dans les milieux politiques vietnamiens. Le Conseiller politique [Nhu] en parla ouvertement  aux correspondants de la presse étrangère. » (voir 23 octobre) (Truong Vinh Le, 1989, pp. 91-92). Au S-V, le courant neutraliste ne touche que les milieux urbains et intellectuels. Les campagnes souhaitent la paix mais demeurent « léthargiques », tout en demeurant perméables aux thèses du F.N.L.

Si cette déclaration fait beaucoup de bruit au niveau international, elle n’est guère entendue, ne serait-ce que par les 2 principaux États concernés. Pham Van Dong (premier ministre n-v) mettra un mois pour remercier De Gaulle d’avoir réaffirmé les principes de Genève. Diem, sans la rejeter totalement, affirmera que cette proposition n’est guère applicable à la situation présente. Les Américains quant à eux la rejette purement (Francini 2, 1988, pp. 277-278 ; Journoud, 2011, pp. 117-120).

Câble de Lodge à Rusk : « La voie dans laquelle nous nous sommes engagés – celle du renversement de Diem – est de celle où il est impossible de faire demi-tour sans perdre la face. » Les U.S.A. sont prêts à soutenir publiquement le coup d’État des généraux s’ils le demandent car, selon Lodge, ceux-ci doutent de « notre détermination de voir le coup d’État réussir. » » (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 152-155).

Câble de Rusk à Lodge après la tenue d’un nouveau C.N.S. : Harkins peut prendre directement contact avec les généraux mais sans soutenir ouvertement les conjurés. Le gouvernement américain soutiendra ceux qui chasseront les Nhu. Lodge peut annoncer au moment où il le juge bon que l’aide américaine à l’actuel gouvernement du S-V est suspendue (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 155-156).


30 août 63 : Câble alambiqué et cousu de fil blanc de Lodge à Rusk, en réponse à un message du secrétaire d’État qui avait « pour but d’étudier les chances d’une tentative visant à séparer Diem et les Nhu. »

Rusk reproche alors à l’ambassadeur de « mettre Diem et Nhu dans le même sac », là où l’administration américaine prétend (hypocritement…) ne souhaiter que le départ des Nhu. Lodge répond à Rusk avoir saisi la nuance mais que ce départ ne peut être conditionné que par une prise de pouvoir par les généraux. Lodge prétend (faussement…) vouloir conserver Diem si celui-ci entend se débarrasser définitivement de Nhu. Le mieux étant que les généraux fassent la besogne. Mais, de leur côté, ils sont toujours indécis… (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 156-158).


31 août 63 : Les membres du C.N.S. se réunissent en l’absence de Kennedy pour envisager l’avenir. Sont présents : LBJ, Rusk, McN et Gilpatric (Défense), McGeorge Bundy, Taylor (Président du Conseil interarmes des chefs d’état-major), Murrow (U.S.I.A.), Helms et Colby (C.I.A.), Nolting (qui n’est plus en poste), Hillsman (secrétaire d'État adjoint pour les affaires d'Extrême-Orient), Kattenburg (département d’État) et Krulack (rapporteur).

A ce moment précis, l’administration américaine se trouve à la dérive face au cas Diem. Les membres du cabinet entrevoient diverses solutions allant du soutien à Diem (McNamara) au retrait des troupes américaines du S-V, sachant qu’il y a un risque de renvoi de celles-ci par le gouvernement du S-V dans les semaines à venir si le putsch échoue (Le dossier du Pentagone, 1971, p. 203 ; Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 160-164). Paul Kaltenburg (fonctionnaire du département d’État, président du groupe interministériel de travail sur le Vietnam) condamne la politique de Diem et prône un retrait pur et simple (Halberstam, 1974, p. 303).

Câble de Harkins à Taylor (chef d’état-major interarmes). Harkins a vu le général Khiem qui lui a rapporté que « le gros Minh avait cessé de faire des projets et étudiait d’autres possibilités. » Khiem et Khanh ont finalement renoncé au putsch, contrairement à Than mais ce dernier n’est pas soutenu par l’armée. Les généraux ne se sentent pas prêts car ils ne sont pas du tout sûrs d’être suivis par l’ensemble de l’armée s-v.

Harkins a rencontré Nhu qui se prétend toujours  soutenu par Kennedy et se dit prêt à respecter les injonctions américaines. Et Harkins de conclure : « La confusion est donc à son comble : tout le monde soupçonne tout le monde et personne n’est décidé à passer à l’action… Les Orientaux ne sont pas des gens pressés… » (Bodard, 1971, doss. Pentagone, pp. 158-159).

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