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par Jean-François Jagielski

Septembre 1950

Septembre – début octobre 50 : Les Français vont être contraints d’évacuer Cao Bang (frontière chinoise), point extrême au nord de la R.C. 4. La seconde prise de Dong Khe par le VM va couper la R.C. 4. Ces deux « hérissons » noyés en terrain vietminh ne servent qu’à tenir tant bien que mal la route… Au nord et à l’ouest de Cao Bang, les Français ont dû lâcher les postes isolés de Tra Linh, Nguyen Binh, Bac Kan, Anlai. Tout le dispositif s’est replié sur Cao Bang assiégé et ne disposant plus d’aucune voie de ravitaillement terrestre. Le rapport Revers avait pourtant préconisé d’abandonner cette zone. Selon Bodard, « on était arrivé à l’absurde, au « serpent qui se mord la queue ». Tout se réduisait à des postes pour protéger des convois, à des convois pour ravitailler les postes. » (Bodard, 1997, p. 517). En parallèle, à l’ouest, les Français de la région de Lao Kay ont subi une récente poussée du VM. Tout le nord-Tonkin est en feu, à l’ouest comme à l’est. La sévère défaite de Cao Bang va provoquer un marasme dans le corps expéditionnaire français (Bodard, 1997, pp. 517-520 et pp. 531-629) et le renvoi du haut-commissaire Léon Pignon en décembre.

Avec la perte de 6 000 hommes, 13 canons, 125 mortiers, 450 camions, 940 mitrailleuses,       1 200 fusils-mitrailleurs, 8 000 fusils et 1 300 tonnes de munitions diverses avec l’abandon précipité de Langson, les Français vont se voir confrontés à une situation jugée par eux comme catastrophique (Fall, 1967, p. 134).


1er septembre 50 : Le service de renseignement du VM apprend l’ouverture depuis le 23 août de l’opération Chrysalide en direction de Phu To (nord-ouest d’Hanoi) et la concentration de troupes françaises sur Langson. Ce qui oblige le VM à hâter ses préparatifs (Giap 2, 2004, p. 31).


2 septembre 50 : Pignon, revenant de Paris, et Carpentier se retrouvent à Saigon lors d’un conseil de défense restreint. Ils prennent d’un commun accord la décision plus que tardive d'évacuer Cao Bang et Dong Khe (opération Thérèse) et d’occuper Thaï Nguyen comme il en avait été décidé un an avant (voir 25 juillet 1949). L’option d’évacuation des militaires par pont aérien est écartée car il y a en plus des civils (partisans thô et Chinois), ce qui ralentirait trop la manœuvre. L’option d’évacuer Cao Bang par la R.C. 3 est repoussée car plus longue en distance (200 km entre Cao Bang et Thai Nguyen). Elle suppose aussi d’occuper fermement Thaï Nguyen et Bac Kan. C’est finalement l’option la plus courte qui est retenue, celle de la R.C.4. Cao Ban est à 40 km de Dong Khe (tenu par la Légion étrangère), That Khe n’étant que 25 km plus au sud (Gras, 1979, pp. 324-325).

HCM entame une tournée d’inspection des unités engagées à la frontière nord-est du Tonkin pour la campagne Le Hong Phong II. Il prodigue des encouragements à ses troupes. Slogans et poèmes d’encouragement leur sont adressés (Cadeau, 2022, p. 197).


3 septembre 50 : Le commandement des opérations du VM effectue une reconnaissance  de terrain aux alentours de Dong Khe. La défense de la forteresse centrale a été modifiée. Au nord où doit se concentrer l’attaque des arbres et arbustes ont été abattus et ne peuvent plus masquer l’avance des forces d’assaut (Giap 2, 2004, p. 32). Il faut s’adapter.


9 septembre 50 : HCM lance un appel de mobilisation aux populations de trois provinces de la frontière nord-est. Il évoque la libération totale de la zone (Cadeau, 2022, p. 198).

Le comité du parti et le commandement de la campagne convoquent les chefs de régiments pour approuver définitivement le plan d’attaque de Dong Khe. Selon Giap, « jamais une bataille n’avait été si minutieusement préparée ! Le plan des opérations était défini jusqu’aux moindres détails. Par rapport à l’attaque de mai dernier, contre cette même position fortifiée, nous avions triplé le nombre d’assaillants. » L’artillerie a été nettement renforcée (Giap 2, 2004, p. 32)

Arrivée incognito d’HCM à Ta Phay Tu (Q.G. des opérations au nord de Cao Bang). Il se fait confirmer l’ordre d’attaque : « Premièrement attaquer Dong Khe. Deuxièmement, s’en prendre aux renforts. Troisièmement attaquer That Khe. Et, quatrièmement, attaquer Cao Bang. » Giap le rassure quant aux progrès accomplis par les troupes du VM dans une bataille de mouvement (Giap 2, 2004, pp. 32-33).  


12 septembre 50 : HCM rencontre Hoang Cam, une chef de bataillon du 209e régiment qui lui fait un rapport sur les préparatifs de combat (Giap 2, 2004, p. 35).


13 septembre 50 : Le VM prépare une action de force secondaire dans la région de Lao Kaï sur la ville elle-même (commandée par le colonel Coste). C’est un axe stratégique (vallée du Fleuve Rouge) qui ouvre la porte d’Hanoï. Coste veut à tout prix tenir la ville. Alessandri va dans son sens mais Carpentier ordonne finalement son abandon. Durant toute une semaine, le VM pousse à l’ouest vers la frontière chinoise. Hoang Su Phi est isolé, Pahka est investi par les T.D. 165 et 148. Deux régiments vietminh opèrent entre Hagiang, Pho Lu et Yen Bay (Bodard, 1997, pp. 525-527). Carpentier donne finalement l’ordre aux unités implantées au nord du Fleuve Rouge de se replier sur Lao Kaï (Gras, 1979, p. 327). On abandonne ainsi à leur sort troupes de partisans locaux.

HCM se rend au P.C. avancé de Na Lan à 11 km à l’est de Dong Khe pour assister au début de la campagne de la R.C. 4. Il y lance un mot d’ordre : « Peu importe les difficultés, vous les surmonterez, il faut vaincre. » (cité in Cadeau, 2022, p. 198) On décide de maintenir le poste d’observation à Cao Bang. Son dirigeant, Quoc Trung, est chargé de signaler tout mouvement de repli (Giap 2, 2004, p. 35).


15 septembre 50 : Message d’HCM à toutes les troupes engagées sur la R.C. 4 : « Chers combattants, La campagne Cao Bac Lang est très importante. Nous sommes décidés à remporter cette bataille. Pour ce faire, vous devez vous montrer résolus et courageux à cent pour cent […] » (cité in Giap 2, 2004, p. 38). Dans la nuit, les troupes d’assaut se dirigent vers Dong Khe.

Charpentier signe l’ordre n° 1258 qui vise à occuper Thaï Nguyen par une opération combinée (Phoque) qui doit être déclenchée au plus tard pour le 15 octobre (Cadeau, 2019, p. 314). Ce projet va être contrarié par l’imminente attaque de Dong Khe. Pour autant, il ne sera pas abandonné (voir 29 septembre).


Mi-septembre 50 : Les Américains créent le Military Assistance and Advisory Group, Indo-China (M.A.A.G.), c'est-à-dire le groupe de conseil et d’assistance militaire (voir 1er août). Son rôle  est de contrôler l’aide apportée aux Français et Vietnamiens, sans avoir un rôle particulier de formation ou de conseil (Spencer, Tucker, 2000, p. 267). De Paris, le général De Lattre, demandeur de l’aide des Américains (voir 7 septembre 1951) mais, toujours méfiant à leur égard, refuse de leur attribuer des locaux pour s’installer (Journoud, 2001, p. 132). L’immixtion des Américains (demeurés anticolonialistes) dans le conflit reste et restera un sujet de friction permanent avec les Français. Elle complexifie également les rapports entre la France et les États-Associés. Le M.A.A.G. procèdera à des contrôles tatillons qui seront aussi une manière de s’immiscer de plus en plus dans le conflit indochinois en tant que « payeurs » et aussi développer une politique indochinoise proprement américaine.


16 septembre 50 : Carpentier adresse l’ordre n° 46 à Alessandri (commandant la Z.O.T.). Il précise d’abord : « En vue de donner plus de cohérence à l’ensemble de notre dispositif au Tonkin et, en particulier, de mieux assurer la couverture face au nord de la région d’Hanoi, j’ai décidé  de replier les postes de Cao Bang et de Dong Khe […] L’évacuation de Cao Bang sera entreprise dès la mainmise sur la région de Thaï Nguyen. La date en sera fixée par le général commandant la Z.O.T. en fonction de la situation générale et, au plus tard, le 15 octobre. » (cité in Cadeau, 2020, p. 159). Les deux opérations sont donc liées chronologiquement et le succès de la deuxième dépend de la première. Or ces plans vont être rapidement réduits à néant par la seconde prise de Dong Khe par le VM. La directive de Carpentier prévoit aussi l’évacuation des civils par un pont aérien réalisé quelques jours avant l’opération susceptible à l’aller d’amener des troupes de renfort. Tout ce qui ne pourra être emmené de Cao Bang par avion devra être détruit sur place : vivres, munitions et matériel lourd.

Le même jour, à Langson, le lieutenant-colonel Le Page met en place un groupement opérationnel de 4 bataillons (opération Thérèse). Il se met en route vers That Khe le soir même mais ses troupes de protection sont accrochées d’entrée à partir des falaises qui se trouvent sur la R.C. 4 au niveau de Lung Phai.

Deux sections de parachutistes thos et nungs sont larguées sur That Khe pour renforcer la maigre garnison composée de 8 officiers, 22 sous-officiers et 270 hommes. La dotation en artillerie est tout aussi malingre : un canon de 105 et un de 57. Face à eux, entre 10 et 12 bataillons vietnamiens, soit entre 7 000 et 8 000 hommes. Selon les calculs d’Ivan Cadeau, le rapport de force est de 1 pour 23 en infanterie et de 1 pour 6,5 en artillerie (Cadeau, 2022, pp. 199-200 et p. 205). Chronique d’une défaite annoncée.

HCM et Giap se rendent sur le sommet d’une montagne proche de Na Lan leur permettant d’avoir une vue sur le champ de bataille. Ils sont dotés de moyens d’observation et de communication (Giap 2, 2004, p. 38).


16 - 18 septembre 50 : Le VM lance l’opération Le Hong Phong II sous la houlette conjointe de Hoang Van Taï (chef d’état-major de l’armée populaire) et de Giap. Dong Khe tombe en 48 heures lors d’une deuxième attaque après celle, avortée, des 25 - 27 mai. Le combat est acharné et cause des pertes sévères dans les rangs du VM : le général conseiller chinois Chen Geng n’est pas satisfait, la garnison française ne comptant que 270 hommes face à environ 10 000 vietnamiens bénéficiant, qui plus est, d’une artillerie supérieure. 3 assauts ont été repoussés par les Français (Dang Van Viet, 2006, p. 125 ; Giap 2, 2004, p. 39 ; Zhai, 2000, p. 10). Le VM a engagé ses unités d’élite, le TD 174 qui attaque par le nord-est et le bataillon 251 qui doit prendre la citadelle. Les unités cernent la localité en plaçant leur nouvelle et puissante artillerie sur les hauteurs qui entourent la localité : canons de 75 et de 57 sans recul. Des éléments de la brigade 308 disposent d’armes antiaériennes et sont disposés à repousser un éventuel largage de parachutistes. La prise de la ville est si rapide qu’on ne peut envoyer des renforts, d’ailleurs dispersés depuis fin septembre, notamment les parachutistes, récupérés aux quatre coins de l’Indochine (Gras, 1979, p. 331). De Plus, le mauvais temps empêche l’intervention de l’aviation. Dong Khe tombe définitivement le 18 à 4 h 30. Le repli de la garnison de Cao Bang sur cette ville n’a donc plus aucun sens. Pourtant, il sera ordonné par Charpentier : la colonne Le Page venue du sud doit reprendre Dong Khe avant de poursuivre sa progression vers la colonne Charton.


17 septembre 50 : Départ du général Alessandri de Paris où, malgré de nombreuses démarches politiques, il n’a rien obtenu.

La colonne Le Page part de Langson au matin. Elle est immédiatement prise à partie entre Dong Dang et Na Cham au niveau du tunnel de Tha Laï. Le blocage dure toute la journée. Une tentative de dépassement réussit la nuit. Ayant atteint Na Cham à l’aube, la progression se poursuit le 18 (Cadeau, 2022, pp. 205-206).


17 - 18 septembre 50 : Le 1er B.E.P. (bataillon étranger de parachutistes) saute sur That Khe en vue de porter assistance à la colonne montante venant du sud, celle de Le Page.


18 septembre 50 : Carpentier, venu à Langson, apprend la chute de Dong Khe. Il pense quand même poursuivre l’évacuation de Cao Bang et prévoit d’appliquer son ordre n° 46 (voir 16 septembre). Il s’en explique au colonel Constans, commandant la zone frontière nord-est à Langson, et au général Hartemann, commandant les forces aériennes d’Extrême-Orient. Il prévoit toujours de concentrer ses forces sur l’opération de Thaï Nguyen (Phoque) par une opération combinée (parachutistes, dinassaut, troupes terrestres). Pendant ce temps, le groupement Le Page constitué ce jour dans l’après-midi, partira de That Khe, en vue de se porter au-devant de la garnison de Cao Bang. Les deux opérations, Thaï Nguyen et Cao Bang, seraient déclenchées avec un décalage de trois jours. L’opération sur Thaï Nguyen est prévue pour le 26 (mais sera retardée par un typhon, voir 29 septembre). Les modalités seront confiées à Alessandri, pourtant toujours opposé à l’évacuation de Cao Bang. Elles dépendront des conditions météorologiques locales. Ce plan doit demeurer secret et le demeurera, même pour ses exécutants : Le Page et Charton ne doivent être mis au courant qu’au dernier moment, J - 1 pour Charton. Selon le plan de Carpentier, la colonne venant de Cao Bang ne devra pas « s’encombrer de bagages ni d’impedimenta et avancer avec le seul souci d’aller au plus vite à la rencontre du détachement Le Page, et si possible au cours d’une première étape de nuit ». Un ordre qui ne sera pas respecté par le lieutenant-colonel Charton (Gras, 1979, pp. 328-329 ; Cadeau, 2022, pp. 206-207)


19 septembre 50 : Le groupement Le Page atteint That Khe au matin et procède à des reconnaissances pour assurer la sûreté de la place qui est tombée depuis peu et rechercher l’ennemi (Gras, 1979, p. 334).

Retour du général Alessandri en Indochine après un long séjour en France de plus de deux mois qui a été prolongé à souhait par l’intéressé pour y promouvoir auprès des hommes politiques français ses vues. Il prend les choses en cours.

De Langson, Carpentier se rend à Cao Bang où il rencontre le lieutenant-colonel Charton mais sans lui souffler mot de sa décision de devoir sous peu abandonner la ville. Il lui confirme au contraire qu’il entend la défendre en lui envoyant par voie aérienne le 3e Tabor. Dans ses mémoires, Charton rapportera, « il se garda bien de nous parler d’évacuation, mais, en ce qui me concerne, je ne fus pas dupe. » Carpentier lui annonce que pour soulager la place, il fera évacuer entre le 21 et le 24 septembre les civils par un pont aérien (Cadeau, 2022, pp. 208-209). Entre 2 300 à 2 500 civils seront évacués du 21 au 27 septembre sur un total de 5 000 personnes.


20 septembre 50 : À Hanoï, Carpentier retrouve le général Alessandri, de retour de France depuis la veille. Au cours d’une réunion où le haut-commissaire Pignon est présent, Carpentier le met au courant de ses décisions. Bien qu’il n’y ait pas eu de compte rendu de cette rencontre, on sait qu’Alessandri y exprime un vif désaccord avec les plans du commandant en chef. Carpentier lui réplique que ses ordres antérieurs ne sont pas discutables, bien que son ordre n° 46 n’ait prévu en aucun cas une réaction armée du VM qui est pourtant bien réelle... La manœuvre est montée comme si l’ennemi n’existait pas, négligeant, qui plus est, les derniers rapports du 2e bureau qui ont montré que l’ennemi s’était dernièrement fortement renforcé  et que certaines de ses unités étaient très bien armées et dotées d’un puissant appui d’artillerie. A la frontière chinoise, de 6 à 7 bataillons vietminh en temps normal, on était passé à une vingtaine. Quant à Alessandri, il ne dispose d’aucune réserve. Selon les ordres du gouvernement en date du 18 août, 4 bataillons ont été envoyés vers le Sud et le reste des forces est mobilisé par l’opération sur Thaï Nguyen (Phoque) (Gras, 1979, pp. 329-330 ; Cadeau, 2022, pp. 209-211).

Le 1er B.E.P. est parachuté sur That Khe (Giap 2, 2004, p. 48).


21 septembre 50 : A l’ouest, le repli du poste de Hoang Su Phi sur Lao Kay cause un profond émoi dans les populations qui ont soutenu les Français. Le capitaine Bazin qui tient la région avec ses partisans s’insurge contre cette décision et écrit au colonel Coste : « Estime que repli de Hoang Su Phi […] serait du point de vue moral assez ignoble – vous demande donc respectueusement de considérer ce TO [transmission d’ordre ?] comme l’expression de notre volonté de lier jusqu’au bout notre sort à celui des gens qui nous ont fait confiance. » Le 25, le même capitaine écrira : « Tous les notables et militaires autochtones du H.S.P. rassemblés chez moi et à qui j’ai fait part  de votre décision d’abandon H.S.P. demandent une fois de plus que vous reportiez cet ordre qui va livrer 30 000 habitants aux Viets – A faire présenter au général lui-même [Alessandri, commandant la Z.O.T.] – De Bazin. » Alessandri devra en personne adresser un télégramme personnel au capitaine De Bazin : « Amenez ce que vous pouvez où vous pourrez. » (cité in David, 2000, p. 54)


23 - 24 septembre 50 : Le colonel Constans (commandant la zone frontière du Nord-Est) se rend à That Khe. Des renseignements du 2e bureau de la zone frontière du Nord-Est signalent des rassemblements et des dépôts dans la cuvette de Po Ma (12 km au nord-est de That Khe, à l’est de la R.C. 4, voir cartes in Bodard, 1997, p. 569 ; Stien, 1993, p. 24). Constans entend en savoir plus. A 23 heures, le 1er B.E.P. et 3 bataillons du groupement Le Page (8e R.T.M, 1er et 11e tabor) prennent un bâtiment, font des prisonniers et surprennent une colonne de coolies transportant des munitions d’artillerie vietminh et du riz. Le 24, le groupement « Bayard » (Le Page) est toutefois pris à parti par le T.D. 246 et doit se replier au sud de That Khe sous la protection conjointe de l’aviation et de l’artillerie qui a été poussée jusqu’à Ban Me. Les dires des prisonniers et la prise de documents confirment le renforcement du VM dans la région : 12 bataillons sont venus de Chine, ce qui porte à une trentaine de bataillons la présence des troupes du VM dans le secteur (carte de ces unités in Stien, 1993, p. 27). Un renforcement en artillerie et en moyens de communication sont également observables. Pour autant, le général Carpentier venu à Hanoi ne s’en émeut pas mais félicite Le Page. Ce dernier écrira cependant dans ses mémoires : « […] le succès du raid de Poma n’a pas détendu l’atmosphère. Les conversations des popotes tournent autour des renseignements recueillis […] Une occasion de plus d’égratigner le commandement qui minimise, quand il ne met pas en doute, les informations qui parviennent de « l’avant » […] Tous ces commentaires font l’objet de vives discussions qui toutes concluent à l’imminence du danger qui menace That Khe. Ce qui ne rassérène pas les esprits. » (cité in Cadeau, 2022, pp. 217-219)


24 septembre 50 : Le lieutenant-colonel Charton est officiellement mis au courant par le général Alessandri qu’il doit abandonner Cao Bang, contrairement aux ordres de Carpentier qui désirait conserver le « secret » autour de l’opération Thérèse. Cette indiscrétion d’Alessandri laisse un peu de temps à Charton pour anticiper son départ (évacuation qui ne sera que partielle de 2 500 civils, faute de temps et d’une météo propice).Trois anciens plans d’évacuation avaient été prévus (voir 2 septembre). C’est finalement le troisième, le plus court mais aussi le plus risqué, celui de la R.C. 4 qui est retenu. Charton ne reçoit pas d’ordres clairs pour la suite. Le colonel Constans qui ne quitte pas son état-major basé à Langson se contentera de lui envoyer des télégrammes laconiques : « Succès opération Thérèse est fonction secret et rapidité exécution »  (Gras, 1979, pp. 340-341). Charton n’est absolument pas mis au courant de l’importance des troupes du VM concentrées aux abords de la R.C. 4. Il prévoit donc un repli lent, sécurisé, faute d’informations et à l’opposé des ordres de Carpentier qui avait lui réclamé de la rapidité. L’évacuation prévue initialement pour le 30 septembre ne pourra être accomplie avant le 3 octobre car le pont aérien a dû être interrompu du fait des conditions météorologiques.


25 septembre 50 : Le commandement de campagne vm émet l’ordre n° 5 prévoyant l’ordre d’attaque de That Khe dès que les conditions le permettront. Le commandement du front de That Khe est créé et entrera en action le 1er octobre. Vuong Thua Vu est nommé commandant en chef. L’ordre de bataille intègre la 308e division qui doit intervenir à Ban Man, Ban Niem et Po Ma, le 209e régiment à Na Gianh. Le 174e régiment est placé en réserve au sud de That Ke (Giap 2, 2004, p. 45).


28 septembre 50 : Après le coup de main de Po Ma, le 1er B.E.P. opère une nouvelle reconnaissance, cette fois à l’ouest de That Khe. Deux nouveaux régiments sont identifiés dont l’un à Po Leing, à l’ouest de la R.C.4 qui est désormais prise en tenaille (Stien, 1993, p. 34).

Charton informe le colonel Constans de la présence à Cao Bang d’environ 180 personnes inaptes à la marche dont une quarantaine de femmes et d’enfants. Il demande leur évacuation par la voie aérienne mais seules quelques dizaines de civils seront ramenés sur Langson le 2 octobre par ce moyen de transport (Cadeau, 2022, p. 263).


29 septembre 50 : Retardée de 4 jours par les conditions météorologiques (typhon), l'opération de diversion Phoque (voir 16 septembre et carte in Bodard, 1997, p. 562) est lancée sur Thai Nguyen et sa région, à une cinquantaine de kilomètres au nord d’Hanoï, sur la R.C. 3. Là encore, on lance l’attaque sans renseignements particuliers sur la consistance des forces vietminh du secteur. Confiée au colonel Gambiez, elle possède un effectif de 4 500 hommes, soit 7 bataillons dotés de chars, d’artillerie, d’un soutien aérien (parachutistes) et même d’une « dinassaut » (division navale d’assaut) qui remonte la rivière du Song Cau. Ces unités aguerries, aux effectifs importants, ne seront donc pas disponibles au moment de l'évacuation des troupes françaises de Cao Bang. Thai Nguyen est considéré par le commandement comme un dangereux bastion vietminh trop proche de la capitale du Tonkin. En prenant l’initiative sur cette capitale des forces du VM et en dispersant ses propres forces, Carpentier néglige le fait que ce sont de puissantes concentrations vietnamiennes qui ont pris la main tout autour de la R.C. 4. Il n’y aura presqu’aucun combats à Thaï Nguyen que le VM a presqu’abandonné. Les troupes françaises seront contraintes elles aussi d’abandonner la ville, du fait de la situation plus que préoccupante sur la R.C. 4. Pour autant, le rapport de l’opération Phoque n’en évoque pas moins « un coup sérieux au prestige et au moral de l’adversaire ». La réalité est beaucoup plus nuancée : les forces du VM se sont éclipsées, la capture d’armement demeure pléthorique au vu des moyens déployés (Gras, 1979, p. 334 ; Cadeau, 2022, pp. 212-216)


30 septembre 50 : Le Page reçoit un ordre préparatoire sous le nom d’opération Tiznit (recueil de la colonne Charton). Un second message chiffré, intitulé ordre d’opération n° 2 émanant du colonel Constans (commandant la zone frontière du Nord-Est) lui enjoint de       « porter le gros des forces du groupement sur Dong Khe » pour « la matinée du 2 octobre au plus tard », de reprendre la ville « afin d’amorcer une autre mission dès le 2 après-midi », sans plus de précision… L’heure de départ est laissée à l’initiative de l’exécutant et rien n’est prévu en cas d’échec de reprise de la localité. Le Page est un peu interloqué par un tel laconisme. Il répond au colonel Constant en soulignant les risques d’une telle entreprise : absence d’appui d’artillerie, « des arrières non assurés », les destructions sur la R.C. 4 au sud de That Khe, l’importance des forces du VM telle que l’ont révélée les rapports de renseignement. Constant maintient cependant ses ordres et promet simplement le parachutage de 2 pièces de 3,7 pouces (Cadeau, 2022, pp. 220-222).

Selon le général Gras, l’homme manque d’expérience et d’autorité, d’autant plus que c’est un artilleur à qui on demande de mener « en flèche » une colonne d’infanterie de secours. Il n’est pas qualifié pour une telle opération et se sait tel. Ivan Cadeau porte, à juste titre nous semble-t-il, un jugement moins sévère sur l’homme (Cadeau, 2022, pp. 232-236).

Le Page réunit son état-major dans l’après-midi. Selon le capitaine Jeanpierre, « il émet l’hypothèse que cette opération a pour but de recueillir la garnison de Cao Bang. Il suppose que cette garnison se repliera sur la R.C. 4. Mais ce ne sont que des suppositions. » Le groupement se met en marche de nuit, avec prudence. Le Page écrira dans ses mémoires : « […] le sort est jeté, il faut y aller. Du plus petit gradé au commandant de la colonne, les visages accusent de la gravité […] » Le Page fait progresser ses unités vers le nord en adoptant la méthode des dépassements successifs et de leur dispersion, se protégeant les unes les autres dans leur progression. Le 1er B.E.P. parachuté le 20 prend ainsi la tête de la colonne, couvert par les autres unités se déplaçant à l’est et à l’ouest de la R.C. 4 (Gras, 1979, pp. 334-335 ; Cadeau, 2022, pp. 222-223).

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